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et resta longtemps, sans rien dire, à regarder la prairie qui reverdissait.

Tout à coup, au bruit d’un craquement de feuilles, Juliette s’était retournée. Simon venait lentement à elle ; il était pâle et maigri. Elle courut à lui.

— Enfin, vous voilà. Ah ! que j’ai été inquiète et malheureuse. Vous n’avez pas revu le principal ?

— Non, répondit-il. C’est ma première visite au collège, et ce n’est pas pour lui que je viens.

Sa première sortie était donc pour la voir. Elle se sentait rougir rien qu’à cette pensée. Ils marchèrent près l’un de l’autre vers le père Rousselin.

Le vieil homme, en les voyant venir, avait exprimé un mouvement de révolte. Il s’était mis à trembler en essayant de se mettre debout, mais ses forces l’avaient trahi. Que venait-il faire ici, cet homme qu’il avait oublié ; maintenant qu’il avait conquis, au péril de sa vie, celle qu’il aimait, venait-il la lui disputer encore ?

Sa vieille face respirait le défi. En dépit de ses forces, il semblait résolu à lutter.

Cependant Simon venait à lui, la main tendue ; le vieil homme hésitait à la prendre, pourtant il lui donna la sienne. Il tremblait tellement, qu’il la garda plus longtemps qu’il n’était nécessaire ; mais l’émotion, jointe à l’ivresse d’une première sortie, était trop forte pour sa pauvre tête ; il laissa tomber ses bras, s’affaissa sur le dossier de sa chaise rustique et perdit connaissance.

La pauvre fille ne savait que faire, elle appela du secours. On emporta le bonhomme, qui revenait lentement à lui. En arrivant à la chambre, Juliette se retourna : Simon avait disparu.

De la journée, le père Rousselin n’adressa la parole à sa garde-malade et ne voulut accepter ses soins. Mais, tout à sa joie, mademoiselle ne fit guère attention aux boutades capricieuses de son vieil enfant.

Simon revint le jour suivant.

— Pourquoi êtes-vous parti sitôt hier ? lui dit-elle.

Il parut embarrassé et ne répondit pas.

— Si j’ai fait quelque chose qui vous ait déplu, dites-le-moi franchement, pour l’éviter désormais.

— Je vous le répète, dit-il, ce sont des enfantillages.

Pourtant il quittait Juliette. Quand ils arrivaient à la porte de la chambre du bonhomme, il se refusait à entrer, et manifestait un mouvement de colère quand il voyait la jeune femme en sortir.

Quelquefois elle ouvrait son piano, et, sur sa prière, jouait au vieux maître les airs qu’il ne pouvait plus dire. Quand Simon, en entrant dans la cour, entendait le son aigre du clavecin, il retournait