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Bebahan est un peu plus élevé que Ram-Hormuz ; il faut franchir entre les deux un petit seuil de poudingue. En approchant de ce point, le plateau devient pierreux, la végétation y est moins puissante : l’aspect du pays est, d’ailleurs, très différent. Ce n’est plus la plaine à l’horizon que rien ne coupe, on y trouve une quantité de ces arbres nommés par les Persans kouars. Les pieds sont trop clairsemés pour qu’on puisse employer le mot de forêt; mais c’est néanmoins fort boisé, La nuit, il y fait très sombre : les guides nous recommandaient toujours de ne pas passer trop près des arbres par crainte d’une embuscade. Nos chevaux, d’ailleurs, suivaient d’eux-mêmes scrupuleusement ce conseil, car le konar est très épineux et fait des piqûres cruelles qui s’enveniment facilement. Une ét de nuit en plaine se fait toujours au milieu d’un lourd silence, l’oreille accoutumée au pas cadencé des chevaux ne le perçoit plus et n’est sensible qu’à l’absence de tout autre son. Le feuillage épais de chaque arbre est, au contraire, rempli du mouvement des oiseaux que notre passage réveille. Le bruit des branches froissées, des faibles battemens d’ailes, qui se propage tout au long de notre chemin rompt l’écrasante impression de solitude, qui, répétée chaque nuit, cause à l’esprit un malaise particulier.

Un petit cours d’eau, affluent du Kurdistan, s’est creusé une étroite et tortueuse vallée qui coupe le plateau. Le fond du ravin n’a que 40 ou 50 mètres de largeur, et, des deux côtés, se dressent à pic deux murailles de roche dure peu élevées, mais encaissant très étroitement le ruisseau. Les roseaux, les tamaris et les lauriers-rose forment tout le long de ce ravin d’épais fourrés où clapote l’eau claire, et rien de ce frais endroit ne se laisse deviner, même à une faible distance, tant les bords sont escarpés.

Nous descendons dans le ravin, nous passons le ruisseau et nous oe savons plus où aller; car, pour regagner le plateau, il faut grimper par des sentiers tellement à pic que nous ne pouvons songer à y engager nos mulets, bien qu’ils aient fait leurs preuves dans la montagne. Tout en haut se trouve perché un petit village ; nous crions pour demander le chemin. Peu habitués à voir cette route fréquentée par des gens honnêtes, les habitans, hommes, femmes et chiens, font une sortie en masse; mais ils n’osent cependant pas s’aventurer jusqu’en bas. Bref, ils ne nous donnent aucun renseignement; mais, en revanche, ils nous traitent de Turcs. Cette formidable injure nous laisse froids, mais elle blesse cruellement nos Persans. Sur ces entrefaites, le soleil se lève et nous permet de sortir de la gorge.

Un jour de marche encore, un fleuve à passer à gué, et nous sommes à Bebahan. Depuis quelque temps, on nous parle de cette ville comme d’une terre promise. Il y a, nous dit-on, des fruits en