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abondance; Mahmoud, notre domestique, qui décidément se gâte à notre contact, nous insinue même qu’on pourrait peut-être y trouver du vin. Quelle déception à la vue des misérables maisons de terre qui forment la ville ! On ne trouve rien au bazar, les fruits tant vantés se réduisent à quelques concombres. Au milieu des maisons jaunes éventrées et à demi ruinées, une ou deux coupoles à briques émaillées jettent seules une note un peu gaie. — Le gouverneur nous donne l’hospitalité dans son palais. C’est un Persan de Chiraz d’une grande distinction et d’une politesse parfaite. Nous constatons avec plaisir qu’il possède un jardin ; nous pourrons reposer sur des arbres verts nos yeux qui sont las de regarder les herbes brûlées de la plaine. Ce n’est plus la grandeur et la fraîcheur des fourrés de Ram-Hormuz; mais nous avons cependant passé une bonne journée de repos à l’ombre des palmiers et des grands jasmins.

Sur le plateau de Bebahan, du côté de la mer, règne une petite crête de marnes à bancs de grès tendre que l’érosion a respectée. Une profonde et très étroite coupure la traverse. Il y a des passages extrêmement pittoresques, des amoncellemens de roches où circulent de minuscules torrens, de place en place une touffe de roseaux ; des deux côtés, la muraille du ravin, et au-dessus de nos têtes une bande de ciel plus claire et toute semée d’étoiles. Ce tang c’est le nom qu’on donne en Perse aux défilés de cette sorte, est très mal famé. Un nombre assez considérable de caravanes parcourt, à l’époque de la moisson surtout, les deux étapes qui séparent Bebahan de Bender-Dilem ; elles sont très souvent attaquées et dévalisées en cet endroit, malgré la présence d’un poste de tofangchis qui surveille les alentours.

Le défilé débouche tout à coup sur un petit plateau qu’on traverse en moins d’une heure. Il s’arrête net du côté de la mer, et, à 500 mètres au-dessous, se trouve la grande plaine de Zeitun. Peu large de l’est à l’ouest, elle forme du nord au sud une grande bande au pied de la montagne. Le Chirin, devenu un très grand fleuve à cet endroit, la traverse dans toute sa longueur. Au long de son cours, ce ne sont que champs cultivés, rizières, oasis de palmiers, villages où nous trouvons des vivres en abondance. Il faut descendre dans cette plaine. Le sentier, très raide, serpente dans les marnes. Des érosions gigantesques, d’énormes ravinemens ont formé des précipices tout autour de nous. Il faut tenir la tête des chevaux et descendre à pied. Le soleil qui se lève colore la roche en rose léger; il n’y a pas une touffe d’herbe. Il y fait, même à cette heure, une chaleur étouffante ; car, dans ces gorges nues et sauvages, fournaises pendant le jour, l’air frais de la nuit ne circule pas et la température s’y abaisse à peine par le rayonnement.