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Il apprend que ses collègues sont arrêtés, que son beau-père est arrêté. Il n’hésite plus; il s’arrache à l’asile qu’on lui avait ouvert et va se constituer prisonnier. Le 6 mai, il est condamné à mort, et le 8 mai, jour de funeste mémoire, il monte à l’échafaud. »

Dans ce récit, malheureusement, une grande part d’erreur se mêle à la vérité. Dumas écrivait d’après des souvenirs contemporains, en dehors des documens originaux ; les dates ne sont pas exactes, et il semblerait à l’entendre que la mort de Lavoisier fût un coup tellement inattendu que ses amis ne purent rien pour le sauver; en quatre jours, tout aurait été décidé : l’arrestation, le jugement, la mort. Dumas ignore les visites domiciliaires, les appositions de scellés, la longue détention à la prison de Port-Libre et à la maison des Fermes, la cruelle agonie de cinq mois qui se termina par l’échafaud le 19 floréal an II, cette réalité des faits plus sombre que la légende.

Comment Lavoisier, victime d’un jugement inique, fut-il frappé avec vingt-sept de ses collègues ; quelles furent les phases de cette douloureuse tragédie; par quelle série de circonstances ne put-il être excepté du supplice, voilà ce que permettent d’établir les pièces originales tirées de nos archives publiques ou des archives de la famille de Lavoisier.


I.

La cause première de la mort des fermiers-généraux se trouve dans l’impopularité des hommes de finance chargés de percevoir l’impôt pour le compte du trésor ou de lui avancer des fonds dans les momens critiques. Banquiers de la cour, receveurs des finances, fermiers-généraux, tous ceux qui faisaient des traités avec l’état, qu’ils eussent à recueillir le montant des tailles, de la capitation, des vingtièmes, des droits d’aides ou des droits de gabelles, étaient compris sous la même dénomination de traitans et voués à l’animadversion générale. L’inégale répartition de l’impôt, la rigueur avec laquelle il se prélevait, les frais considérables occasionnés par sa perception, la dureté qui présidait au châtiment des fraudeurs, avaient rendu odieux à la nation tous ceux qui, à un degré quelconque, prenaient part au recouvrement des taxes. Aussi les collecteurs des tailles, les employés des gabelles étaient-ils les premières victimes des colères du peuple, qui, par l’incendie des bureaux, la lacération des registres, croyait adoucir sa misère, comme si la suppression momentanée de quelques rouages secondaires pouvait modifier la marche de la lourde machine administrative qui pressurait la matière imposable.

Parmi les traitans, les fermiers-généraux étaient les plus détestés;