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Avec le règne de Louis XVI, avec l’administration de Turgot, d’autres mœurs s’établirent en France ; la compagnie des fermiers-généraux s’épura : la plupart n’avaient ni les habitudes fastueuses, ni les mœurs faciles de leurs prédécesseurs, les contemporains en font foi : « Les fermiers-généraux, distingués par leur éducation, ne sont plus les financiers d’autrefois, » disait Necker, dans son Compte-rendu au roi, en 1781 ; et, dès 1775, un pamphlet, l’Espion anglais, faisait remarquer que leur compagnie s’épurait, qu’elle ne ressemblait plus à ce qu’elle était autrefois, et qu’on aurait peine aujourd’hui à trouver parmi ces messieurs des copies du Turcaret.

Quant aux fermiers-généraux qui signèrent le bail de 1786, et dont la plupart périrent sur l’échafaud, ils nous apparaissent comme des financiers probes, exacts en affaires, très attachés à leurs devoirs d’administrateurs, plus occupés de remplir leurs fonctions que de fournir des anecdotes à la chronique scandaleuse de Paris[1]. Néanmoins, si la plupart se distinguent par leurs vertus privées et ne donnent plus prise aux critiques des pamphlétaires, le système des fermes générales est de plus en plus l’objet d’une réprobation universelle dont l’auteur du Tableau de Paris s’est fait l’écho passionné : « Je ne puis passer devant l’Hôtel des fermes, dit Mercier, sans pousser un profond soupir... Je voudrais pouvoir renverser cette immense et infernale machine qui saisit à la gorge chaque citoyen... La ferme est l’épouvantail qui comprime tous les desseins hardis et généreux. Puissent les assemblées provinciales miner ce corps financier, auteur de tant de maux et de tant de désordres! »

Aussi, lors de la réunion des états-généraux, la ferme devait-elle être une des premières à succomber parmi les institutions du passé. Les attaques vinrent d’abord des employés subalternes ; tous ceux qui avaient ou croyaient avoir à se plaindre d’injustices, tous les ambitieux déçus dans leur espoir d’avancement se levèrent contre leurs chefs jusque-là si puissans. Les commis des entrées aux barrières de Paris adressent suppliques sur suppliques à l’assemblée nationale pour réclamer l’état de leur caisse de retraites, se plaignant de son fonctionnement, de son organisation ; à les en croire, ils ne toucheraient de pensions que par protection, quand ils ont été blessés au service de la ferme ou mis hors d’état, par leur grand âge, de gagner leur vie.

Les fermiers-généraux ne pouvaient mépriser ces attaques répétées; en novembre 1789, ils adressèrent au contrôleur-général

  1. Un pamphlet de 1789, Don patriotique des fermiers-généraux, ne trouve à reprendre que les chars superbes de Delahante, le luxe des maisons construites par Laborde, la délicatesse et l’abondance de la table de Courmont : quant à Lavoisier, on lui reproche seulement d’avoir une loge à tous les spectacles.