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tandis que, dans les salons, courait le quatrain bien connu :


Pour augmenter son numéraire
Et raccourcir notre horizon,
La Ferme a jugé nécessaire
De nous mettre tous en prison.


D’un autre côté, la régie des poudres, dont Lavoisier faisait partie depuis 1774, était l’objet d’attaques répétées dans les journaux et dans les clubs, à la Société des amis de la constitution, et à la Société des amis des lois établie aux Théatins. Les quatre régisseurs, Faucheux père et fils, Clouet et Lavoisier, prirent la défense d’une administration qui avait rendu les services attendus par Turgot, depuis que ce ministre avait transformé la ferme des poudres en une régie dont l’organisation avait été confiée à Lavoisier. Ils rappelèrent que la régie avait déchargé la nation d’un impôt de 600,000 livres, inégalement réparti, en restreignant le droit de fouille des salpêtriers; qu’elle avait fait montera 370,000 livres la récolte de salpêtre, qui auparavant était de 170,000 livres seulement; et doublé la portée des poudres nécessaires aux arsenaux. Les régisseurs ajoutaient à leur mémoire une courte notice autobiographique, s’excusant d’entrer dans des détails personnels ; mais leur patriotisme et leur honneur ont été vivement attaqués ils doivent se défendre.

Ainsi, dès 1791, Lavoisier se trouvait désigné à la haine des citoyens ; les accusations de Marat devaient malheureusement trouver créance auprès d’amis sincères de la révolution, qui, partageant les préventions de l’époque contre les gens de finances, ne voyaient en Lavoisier que le traitant, l’ex-noble, le ci-devant. C’est que le dévoûment modeste à la chose publique, les services les plus éminens rendus aux sciences, ne sont connus que d’un petit nombre d’hommes, et encore, parmi ceux-ci, se trouve-t-il des êtres bassement envieux de toutes les supériorités, et qui, en les abaissant, croient s’élever, se grandir eux-mêmes.

Deux ans plus tard, à la fin de 1793, l’inimitié de Fourcroy le désignait nettement comme contre-révolutionnaire. Le 4 novembre (14 brumaire an II), Fourcroy proposait à la Société d’instruction publique connue sous le nom de Lycée de procéder à une épuration pour exclure de son sein tous les contre-révolutionnaires[1]. Une commission dont il faisait partie se mit immédiatement à l’œuvre; elle

  1. Le Lycée, appelé d’abord lycée de la rue de Valois, puis lycée républicain, ne doit pas être confondu avec le lycée des arts, fondé en 1792 par Charles Dèsaudray.