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indemnités sur une somme totale de 130 millions, montant des vols des fermiers-généraux[1].

La discussion du rapport occupa deux séances du comité des finances; un directeur du contentieux de la ferme, Féval, dévoué à ses anciens patrons, se présenta à deux reprises pour donner au comité tous les éclaircissemens nécessaires au nom des prisonniers : on refusa de l’entendre, et le président lui fit signifier d’avoir à se retirer sur-le-champ. La délibération du comité resta secrète ; Dupin, sollicité par les femmes de quelques-uns des détenus, répondit que tous obtiendraient leur mise en liberté sous peu de temps, alors qu’il se préparait à les faire tous traduire devant le tribunal révolutionnaire. Néanmoins, les angoisses étaient grandes ; c’était l’heure où Fouquier-Tinville envoyait à l’échafaud, sous prétexte de complicité avec l’étranger, les fondateurs de la république, Héraut de Séchelles, Danton, Camille Desmoulins, Westermann ; comment les financiers, haïs pour leurs fonctions, suspects par leur fortune et leurs titres nobiliaires, ne se seraient-ils pas sentis menacés ? Cependant tous ne désespéraient pas encore ; ils n’avaient commis aucun acte d’incivisme et, de plus, étant restés en dehors des luttes politiques, ils n’étaient compromis avec aucun des partis qui se disputaient le pouvoir. Lavoisier ne s’abandonna pas et prépara ses moyens de défense. Il demanda au bureau de consultation un certificat pour constater les services qu’il avait rendus à la science; une commission, composée de Coulomb, Servières et Halle, fit adopter son rapport, dont la rédaction paraît due à Halle, dans la séance du 4 floréal (23 avril), présidée par Lagrange. D’un autre côté, il invoquait l’appui des agens nationaux des poudres et salpêtres, Faucheux et Champy, qui essayèrent de l’arracher au tribunal en attestant qu’en qualité d’ancien régisseur des poudres, il était au nombre des citoyens désignés par un arrêté du comité du salut public comme devant être mis en réquisition pour la reddition de leurs comptes. Lavoisier s’adressa également à deux de ses anciens collègues de l’Académie, Cadet et Baume, le fougueux adversaire des nouvelles théories chimiques, qui pénétrèrent dans sa prison pour lui remettre un certificat constatant qu’il s’était toujours opposé au mouillage du tabac, ce dont ils avaient pu s’assurer pendant leur enquête officielle de 1774. Enfin il rédigea lui-même un bref exposé de sa carrière. Sous le titre de: Notice de ce que Lavoisier,

  1. Quatre-vingt-quinze financiers avaient participé aux baux de David, Salzard et Mager; quarante-cinq étaient morts au moment des poursuites. Les reviseurs avaient établi les reprises à faire contre eux ou leurs héritiers d’après le temps qu’ils avaient passé dans les fermes. Lavoisier était taxé à 1,204,345 livres 10 sols pour neuf ans neuf mois d’exercice comme titulaire, et à 470,000 livres pour le temps où il avait été adjoint du fermier-général Baudon.