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document ne le précise, rien ne nous fait connaître les noms des citoyens qui venaient courageusement s’incliner devant le proscrit ; mais le fait, mis en doute par quelques biographes, est attesté par les publications du Lycée des ans de l’an IV et de l’an VI, et le rapport de Lakanal du 4 vendémiaire an IV.


VI.

Il y avait une heure environ, le soir du 18 floréal (7 mai), que les prisonniers étaient réintégrés dans leurs chambres, quand un guichetier, les appelant individuellement par leurs noms, remit à chacun d’eux une copie de l’acte d’accusation, d’une écriture fine, peu lisible ; ils s’efforçaient en vain de la déchiffrer, l’ordre leur fut donné d’éteindre leur lumière ; sur les trente-deux fermiers-généraux incarcérés, vingt-huit dormirent leur dernière nuit : moins de vingt heures après ils auraient cessé de vivre.

À peine le jour fut-il levé, ce matin du 19 floréal an II (8 mai 1794), que tous les prisonniers étaient réunis au greffe, fouillés avec rigueur et dépouillés de tout ce qu’on leur avait laissé la veille : montres et bijoux ; et dans la liste des objets remis le lendemain au greffe du tribunal révolutionnaire par le concierge Richard, on peut lire : « Plus une montre d’argent du nom de Berthoud, no 2433, et une petite clef d’or qu’il a déclaré appartenir à Lavoisier, condamné à mort. » Déjà condamnés avant le jugement, préparés pour l’échafaud, ils furent conduits dans une salle attenante à la salle du tribunal, au nombre de trente et un. L’un d’eux, Verdun, protégé par Robespierre, avait été emmené dans l’intérieur de la Conciergerie. Fouquier, d’un trait de plume, avait rayé son nom sur la liste annexée au décret du 16 floréal et l’avait supprimé dans l’acte d’accusation. Les défenseurs officieux furent introduits ; ils étaient au nombre de quatre ; un quart d’heure seulement leur fut accordé pour conférer avec les accusés d’une affaire qui leur était inconnue ; ils reçurent bientôt l’ordre de se retirer, le tribunal venait d’entrer en séance.

Il était dix heures ; les accusés, libres et sans fers, dit ironiquement le formulaire imprimé du procès-verbal du jugement, furent conduits dans la salle du tribunal et prirent place sur les gradins. L’audience était présidée par Coffinhal, vice-président du tribunal, assisté de deux juges, Étienne Foucault et François-Joseph Denizot ; chacun était assis à une table particulière sur laquelle se trouvaient une bouteille et un verre ; près d’eux, Gilbert Liendon, substitut, remplissait les fonctions d’accusateur public ; le greffier était Anne Ducray. Devant les gradins des accusés, le banc des