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POÉSIE


LE PERE JEAN.

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Le père Jean s’en va sous la falaise grise
Dans son vieux camion. — Cocotte, la jument
Renifle le grand air, car il fait bonne brise
Et, ce soir, les bateaux vont danser rudement !

Le vieux fume sa pipe ; il suit une mouette
Qui rase le flot sombre et piaille dans le vent…
La bête tend le cou sous l’eau qui la fouette
Et le bonhomme chante ! — Il a vu ça souvent
Quand il courait la mer ! Il connaît les orages !
On n’a pas fait trente ans la pêche sur le banc
Sans se douter un peu comment sont les nuages,
Et ce n’est pas pour rien, morbleu, qu’on est tout blanc !
Et puis, le vent lui parle ! — Il apporte au bonhomme
Les bonjours de tous ceux qui sont couchés là-bas
Sous l’eau verte ! — On dirait que le vent les lui nomme !
Ah ! les bons vieux amis !.. Mais la mer ne rend pas
Ceux qu’elle prend ! — Un jour, son fils, un gars solide.
Est parti pour la pêche et n’est pas revenu !
Père Jean, bêtement, regarde dans le vide.
Triste et songeur ! — Le vent lui souffle un nom connu !
Et bientôt quand, au plein, les deux pieds dans l’écume.
Il va de varechs lourds faire une ample moisson.
Le vieux, de temps en temps, au travers de la brume,
Cherchera si le flot ne rend pas son garçon !