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dans ces défilés qui se refermeront sur toi ; » et, joignant l’action à la parole, se jetant à bas de son cheval, le vieux guerrier, que nul au monde n’aurait pu soupçonner de faiblesse, s’étendit en travers du chemin, devant le général. La marche fut reprise sans être inquiétée ; les craintes de Moustafa parurent d’abord chimériques ; le soir, la colonne bivouaqua au bord de la Tafna; le lendemain, 16, elle suivit la rive droite du cours d’eau jusqu’à l’embouchure. A peine avait-elle commencé à s’y établir qu’elle était déjà bloquée; les prédictions de Moustafa s’accomplissaient; les défilés s’étaient refermés sur elle.

Le général d’Arlanges eut d’abord quelque peine à le reconnaître ; cependant il comprit la nécessité de se fortifier au plus vite. Dès le 17 avril, cinq cents hommes furent employés aux terrassemens ; le 20, le colonel du génie Lemercier, venu d’Oran par mer, prit la direction des travaux ; là où le maréchal Clauzel avait cru qu’il suffirait d’un fossé, d’un parapet et de deux blockhaus, le génie eut à construire un camp fortement retranché, avec tête de pont sur la rive gauche. Il n’y avait plus d’illusion à se faire ; le blocus était complet et rigoureux. La cavalerie envoyée, sous la protection d’un bataillon, au fourrage, était inquiétée chaque matin et de plus en plus resserrée dans le champ de ses recherches. Enfin, voulant éprouver la force du cercle qui l’enserrait, le général prit la résolution de faire une reconnaissance sur la rive gauche de la Tafna.

Le 24, à huit heures du soir, quinze cents hommes d’infanterie passèrent la rivière à gué; le 25, à deux heures du matin, le général les rejoignit avec toute la cavalerie et huit pièces de canon, dont les munitions furent partiellement mouillées pendant le passage. La marche, indiquée sur deux colonnes, fut contrariée par l’obscurité de la nuit, il fallut attendre l’aube. On aperçut alors quelques vedettes qui s’enfuirent aux premiers coups de fou dans la direction d’un petit monument qui était le marabout de Sidi-Yacoub. On les suivit ; à droite marchaient le 47e et les zéphyrs, sous le commandement du colonel Combe ; à gauche, le 17" léger et le 66e sous les ordres du colonel Corbin. Arrivé à la hauteur du marabout, à deux lieues environ de la Tafna, le général d’Arlanges fit battre le terrain en avant des colonnes par les Douair de Moustafa et les spahis du 2e chasseurs; mais ces éclaireurs s’étendirent trop loin, s’éparpillèrent et disparurent bientôt cachés par les accidens du sol. Les trompettes eurent beau rappeler, cinq quarts d’heure s’écoulèrent avant qu’on les vît revenir serrés de près par les cavaliers de l’émir ; Abd-el-Kader était là. Pendant ce temps, le pays qui paraissait inhabité deux heures auparavant, s’était insensiblement peuplé; des groupes de Kabyles armés se