Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/943

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par la force de la volonté nationale, excitent dans le peuple des passions factices pour les exploiter. Cette espèce s’était vite abattue sur la France : inconnus, innombrables, tous résolus à suivre la carrière de la popularité, ils n’avaient pour s’emparer de la confiance qu’un moyen, la flatterie; comme ils s’y voulaient dépasser les uns les autres, ils firent respirer au bon sens du peuple souverain une atmosphère de cour; et l’influence s’adjugea par des enchères de servilité. Quand elles eurent commencé, et que chacun fut contraint de promettre un remède plus efficace aux charges publiques, il n’était pas possible qu’il ne se trouvât pas un homme pour proposer la réduction de la charge la plus lourde qui pèse sur la nation : le service militaire. Si cette réduction avait clairement paru destructive de notre force, les politiciens n’auraient peut-être pas osé la demander; il est certain que la nation n’y aurait pas souscrit. Mais l’ignorance de tous les livrait aux sophismes. Pour en arrêter les ravages, il suffirait encore que les chefs de l’armée opposassent aux changemens une résistance unanime.

Mais, dans l’armée elle-même, les politiciens avaient pénétré. Il se trouva des généraux pour rassurer le parlement sur les suites de l’entreprise. Alors, avec la complicité du ministre de la guerre et aux applaudissemens de l’opinion confiante, se précipita cette avalanche de projets où le service militaire devient de plus en plus court. De là date une troisième période où nous sommes encore : le pays a reporté son intérêt sur la question militaire, mais c’est pour détruire l’œuvre accomplie après 1871. Il ne croit pas par ces changemens amoindrir la force alors créée, mais nul ne soutiendra que les théories aujourd’hui en faveur soient de nature à accroître la valeur de l’armée.

Sans doute la réduction dans la durée du service n’est encore qu’un projet, l’armée n’est pas néanmoins sans souffrir de vices inhérens à notre régime. La préparation de la guerre exige la permanence dans les hommes et dans les idées. Il faut que rien ne trouble dans leur œuvre ceux qui suivent l’état du monde, le jeu des alliances, et surtout ceux qui, chargés d’une tâche plus lourde encore, ont à pourvoir, dans les derniers détails, à tous les besoins des troupes, à leur commandement et à leur mobilisation. Or, en France, la diversité des partis et les luttes d’influence font du pouvoir la fonction de toutes la plus éphémère. Quel plan politique et militaire pourrait être conçu par des hommes nouveaux et tout occupés à se défendre au dedans ? Toutes les mesures d’exécution ne deviennent-elles pas plus difficiles dans une armée où les hautes autorités changent incessamment de mains, et qui, depuis la guerre, a connu dix-sept ministres?

Il est vrai que le dix-septième semble fait pour durer davantage.