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dans la vie privée et avec lui le besoin de l’économie. Le Grec a compris que le luxe des Orientaux est tout extérieur et mal entendu ; que 30 francs mis au gland d’or d’un fez, 50 francs à des guêtres, 400 ou 500 à une veste chamarrée, sont des dépenses excellentes pour des Turcs, qui vivent et se parent du travail d’autrui, mais qu’elles sont peu compatibles avec la civilisation sérieuse et solide des Occidentaux. Quand les Grecs étaient pauvres, ils mettaient sur eux tout leur avoir et ne possédaient rien à la maison. À présent qu’ils sont riches ou dans l’aisance, ils ne brillent plus au soleil, mais ils sont mieux logés et mieux nourris, ils font des économies et cultivent leur esprit comme leurs terres. Quand j’ai vu la Grèce pour la première fois, dix-sept ou dix-huit ans seulement après la guerre, la chambre des députés ne comptait guère que cinq ou six redingotes, tout le reste des élus portait la fustanelle et le fez rouge. À présent, c’est tout le contraire : la chambre est vêtue comme nous ; elle ne compte plus que quatre ou cinq fustanelles. Il ne faut pas croire que ce soit là une petite révolution : c’est une révolution profonde. Pour qu’un homme en vienne à changer son costume dans son propre pays, il faut que des idées nouvelles aient livré bataille aux anciennes dans son esprit et qu’il ait vaincu un bien puissant préjugé.

Ainsi, à l’arrivée des mœurs de l’Occident, le pittoresque s’enfuit ; dans quelques années, l’élégant et brillant costume des Grecs aura disparu ; les bergers des montagnes porteront seuls la fustanelle et les cnémides brodées jusqu’au jour où ils seront eux-mêmes vêtus d’une culotte et d’une blouse comme nos pastoureaux. Déjà les riches vêtemens nationaux passent à l’état de pièces archéologiques et d’objets de musée. Tous les ans, à l’époque du carnaval, on les tire des coffres où ils sont serrés, on les revêt et l’on va faire visite chez ses amis. J’en ai vu souvent de ces costumes déjà anciens : ce sont des merveilles d’art et de richesse ; rien chez nous n’en peut donner l’idée ; on se croirait à la cour d’Irène ou de Thêodora. Tout cela disparaît à vue d’œil ; notre uniformité grise ou noire envahit le pays de la lumière ; mais elle amène à sa suite tout ce cortège d’idées, de sciences, d’arts, d’institutions et d’usages domestiques qui sont aujourd’hui la civilisation.


II.

Un changement plus profond, mais plus lent, s’opère dans les esprits et a son contre-coup dans les mœurs. Je veux parler du dépérissement progressif de la foi religieuse. Chez les Grecs, il n’y a pas de dissidens ; à l’exception d’un nombre restreint de catholiques, tout le monde est orthodoxe de la même manière. Le schisme qui sépara, il y a quelques années, l’église bulgare du patriarcat de Constantinople,