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sont en lutte avec l’église et professent ouvertement l’irréligion. Revenus dans leur pays, les Grecs jugent que les bonnes gens qui à l’épitaphion portent de petits cierges en procession dans les rues d’Athènes et les honnêtes femmes qui font des signes de croix à tour de bras au milieu des champs sont des âmes crédules et des esprits arriérés. Leur appréciation donne à réfléchir ; plusieurs l’acceptent et la transmettent à d’autres. Ainsi les âmes se détachent peu à peu des doctrines acquises dans l’enfance ; la foi s’éteint ; l’église voit le nombre de ses fidèles diminuer, et peut-être un jour viendra-t-il où la question du budget des cultes, qui va être résolue en faveur du clergé, se posera comme chez nous à son détriment.

La Grèce n’en est pas encore là. S’il y a des incrédules parmi les gens instruits et désabusés, à l’autre extrémité les croyances superstitieuses en pleine vigueur sont innombrables. Un savant athénien, M. Politès, a publié dans ces derniers temps un livre des plus curieux sur ce sujet ; il est en grec et porte pour titre : Vie des Grecs modernes (Βίος τῶν νεωτέρων Ἑλλήνων). Cet ouvrage nous fait pénétrer dans les traditions intimes des populations helléniques. Nous voyons défiler devant nous comme une longue procession d’êtres fantastiques, de brucolaques, de Néréides, de Parques, de Principes élémentaires et d’autres qui habitent certains lieux, fréquentent les fontaines, glissent sur la mer ou volent invisibles dans l’atmosphère. Le peuple grec y croit, surtout les femmes, et n’a pour les conjurer que le scapulaire, ou une sainte image, ou enfin le signe de la croix ; comme ces génies malfaisans accourent à l’improviste, c’est aussi à l’improviste, sur un chemin, sur une place publique, dans un lieu désert qu’on voit une femme faire des signes de croix qu’elle compte par trois, sept ou neuf. Grâce à M. Politès et à mes propres notes, je pourrais citer un grand nombre de superstitions aujourd’hui en vigueur. Je n’en citerai qu’une, constatée encore il y a peu d’années en pleine Athènes, c’est le souper des Parques ou Moeres, qui se fait trois ou cinq jours après la naissance de l’enfant. j’emprunte ce petit tableau au livre intitulé : le Baptême, par M. Bezoles, qui a été témoin oculaire. « Trois jours après la naissance de l’enfant, on prépare une table pour les trois demoiselles, dans la chambre ornée avec le plus de soin et d’élégance ; sur la table, une nappe bien blanche, un pot ou un verre de confitures, des cuillers, la bague de la mère et quelques pièces de monnaie du père. Ces préparatifs se font le soir : le repas reste servi toute la nuit. On n’a pas oublié de placer à un des coins de la table un petit vase de miel, dans lequel on a mis trois amandes dépouillées ; le lendemain, la mère appelle trois petits garçons et leur distribue