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qui s’irradie dans les divers organes des sens, modifie la forme des sourcils, des ailes du nez, de la bouche, etc. En second lieu, l’état de la sensibilité a aussi son expression caractéristique de contentement ou de tristesse, qui se mêle à toutes les passions. Enfin, en troisième lieu, la volonté s’exprime toujours par le consentement ou le refus, soit spontané, soit réfléchi, dont les mouvemens musculaires sont les signes ou plutôt l’exécution même.

Maintenant, quel est ici l’élément primitif? Est-ce le mouvement de la pensée qui explique celui de la volonté et de l’appétit? Ou, au contraire, est-ce la volonté qui est le ressort primordial?

Certains psychologues, comme Herbart, ont cherché la première origine des émotions dans le domaine de l’intelligence et ont voulu les expliquer par un simple jeu d’idées. Le tort d’Herbart est de n’avoir vu dans la passion que son effet intellectuel. Pour lui, ce n’est pas l’émotion, par exemple la frayeur ou la joie, qui cause le mouvement précipité ou l’arrêt des représentations, c’est, au contraire, le mouvement des représentations, — perception de l’objet terrible, représentation soudaine des conséquences, idée de la défense immédiate, etc., — qui cause l’émotion. Herbart confond l’effet avec la cause.

M. Wundt, lui, voit mieux la force de la volonté sous celle des idées, mais il place cette force uniquement dans l’attention, dans ce qu’il appelle l’aperception, c’est-à-dire la saisie des objets par l’intelligence. L’émotion n’est plus alors, selon lui, en son origine, que l’effet produit par le sentiment sur l’attention[1]. Aussi M. Wundt aboutit à faire de la surprise, comme Bain et Descartes, l’émotion fondamentale. « On peut, dit-il, regarder comme la forme la plus simple de l’émotion l’état qui se manifeste au dedans de nous à la perception d’une chose inattendue. » L’effet de la surprise, ajoute-t-il, est analogue à celui de l’effroi, et fait qu’on tressaille visiblement. M. Wundt en conclut que l’émotion élémentaire est la surprise, « qui se comporte, à l’égard des mouvemens de l’âme plus complexes, à peu près comme le sentiment esthétique éveillé par une forme géométrique simple vis-à-vis de l’effet produit par une œuvre d’art. » M. Wundt aurait pu ajouter, dans le même sens, que la surprise est l’analogue intellectuel du choc mécanique avec ses effets d’élasticité bien connus.

Quelque part de vérité que renferme cette analyse psychologique, elle ne nous paraît point encore aboutir aux élémens véritables et primordiaux de l’émotion. M. Wundt ne s’est pas demandé si, au lieu de ramener l’effroi à une sorte de surprise, on ne pourrait

  1. « L’aperception, dit-il, est la source psychologique des émotions ou mouvemens de l’âme. » Psychologie physiologique, traduction française, II, 315.