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protectorat de la Russie dans les Balkans, le protectorat de l’Angleterre en Égypte, est-ce que cela compenserait encore pour ces puissances les dangers d’une décomposition du monde occidental, qui pourrait être la suite d’une guerre d’ambition et de conquête ? Le malheur de M. de Bismarck est de soulever tous ces problèmes, qui ne reparaissent qu’aux époques des grandes dictatures, qui touchent à toutes les indépendances, à tous les intérêts, à toutes les susceptibilités des peuples et des gouvernemens. L’avantage, le simple avantage de la France, c’est de représenter ce qui reste de l’équilibre de l’Europe. On ne lui porte pas un grand intérêt, on ne l’aime pas pour elle-même, c’est entendu, on ne nous le cache pas. Elle ne retrouverait des alliés que si elle était victorieuse, elle est, en attendant, assez isolée. On ne s’est pas moins aperçu, à la lumière des derniers événemens, qu’elle restait un des ressorts essentiels de l’ordre occidental, que sa puissance était une garantie nécessaire de la sécurité universelle ; on a reconnu aussi qu’elle méritait l’estime du monde, et c’est face qu’elle a gagné par sa bonne conduite dans une crise qui a ramené toutes les politiques en face des plus saisissantes réalités. C’est ce qu’on pourrait appeler un avantage de dignité extérieure pour la France.

Une autre conséquence profitable de cette pénible crise, si on voulait l’accepter avec un simple et viril bon sens, c’est d’avoir démontré une fois de plus la nécessité pressante, impérieuse, d’en revenir enfin à des conditions de politique intérieure et de gouvernement sans lesquelles il ne peut y avoir une politique extérieure suivie et efficace. Chose curieuse et rare ! on pourrait dire que c’est d’un mouvement instinctif et spontané, par une sorte d’inspiration soudaine et irrésistible de prudence nationale, sans direction et sans guide, que notre généreux et malheureux pays a pris sa sage attitude dans les circonstances critiques que nous traversons. Il n’a pas eu à suivre un mot d’ordre qui ne lui a pas été donné, ni à observer une discipline qui ne lui a pas été imposée. Il s’est conduit de lui-même, sans autre conseil ou avertissement que celui du danger ; il n’a reçu aucune impulsion, il eût été moins habile, moins bien inspiré s’il s’était laissé diriger par ceux qui sont censés le représenter. Ce n’est pas que nos politiques officiels, ceux qui sont chargés du gouvernement, aient manqué de bonnes intentions : ils ont fait en général, on peut en convenir sans difficulté, ce qu’ils ont pu, pour se défendre des explications périlleuses ou inutiles, pour éviter tout ce qui pouvait inquiéter ou animer l’opinion. Ils auraient pu, ils auraient dû sans aucun doute diriger avec une vigilance plus active, plus directe, plus utile pour le pays : c’était leur devoir et leur rôle. Malheureusement, s’il est un fait avéré, c’est qu’il n’y a qu’une apparence de gouvernement, et que, dans ce qui reste de gouvernement, il n’y a ni une sérieuse sûreté, ni souvent le sentiment