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la police est contrainte d’ouvrir les yeux. Elle a passé la nuit au poste, dans cette immonde chambre que le jargon des malfaiteurs appelle le violon. Au matin, elle est montée en voiture cellulaire, elle a été conduite au dépôt et écrouée après avoir reçu un pain qui, pour elle, sera un objet de nécessité première. — Je disais à une détenue : « Vous ennuyez-vous beaucoup? » Elle me répondit : « Je ne peux pas dire que je m’amuse, mais c’est quelque chose de manger tous les jours. » — Le soir de son entrée au dépôt, le lendemain au plus tard, elle sera transportée à Saint-Lazare, où la préfecture de police la garde à la disposition de la justice. Elle est placée à la première section, c’est-à-dire à la détention ; c’est là qu’elle attendra son jugement, c’est là qu’elle reviendra après sa condamnation.

Le système pénitentiaire de la détention est rudimentaire et par conséquent défectueux. Les détenues travaillent en commun dans des ateliers, silencieuses et sous la surveillance des sœurs de l’ordre de Marie-Joseph. Là, par de bonnes paroles, à l’aide de certaines lectures, on peut. à la rigueur, apporter quelque apaisement à ces âmes farouches et faire entrer quelques rayons de lumière dans ces cerveaux obscurcis. La journée est relativement bien employée; n’acquerrait-on, près des longues tables devant lesquelles on est assise, qu’un peu l’habitude du travail, ce serait déjà un grand bienfait, sans compter que l’on y gagne quelques sous qui, accumulés, forment ce que l’on nomme la masse et serviront à pourvoir aux premiers besoins, à la fin de l’emprisonnement; à moins que « l’homme » n’attende la libérée à sa sortie de la geôle et ne les lui enlève par droit de préhension. Lorsque la nuit est venue et que l’heure du coucher a sonné, les détenues sont conduites dans leur chambre ; non ! pas dans leur chambre, mais dans leur chambrée, ce qui n’est pas la même chose et ce qui est vicieux au premier chef. Les chambrées contiennent deux, quatre, six, huit lits et, par conséquent, échappent à tout contrôle, car celui que l’on peut exercer par le judas dont les portes sont munies, est illusoire. Dès lors, le bénéfice de la journée, si bénéfice il y a, est perdu : c’est la toile de Pénélope de la dépravation ; chaque nuit détruit la besogne de chaque jour. Le dortoir en commun, éclairé au gaz, avec les lits nombreux et où peut dormir une surveillante, est préférable à ce groupement de perversités réunies loin de tous les yeux, mises en contact, chuchotant d’étranges récits, se vantant de leurs actes coupables, et que l’on dirait l’assemblées pour des œuvres néfastes. Cela seul démontre que Saint-Lazare est impropre au service qu’on lui impose et qu’il n’est que temps de démolir, de remplacer cette maison pestiférée.

La prison réservée aux femmes, — à quelque catégorie de détenues