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et emmènent dans des maisons silencieuses où l’on vit sous la règle des habitudes monacales. Pour les détenues, il n’en est point ainsi : lorsqu’elles auront purgé leur condamnation, elles reprendront la liberté de l’existence et la responsabilité de soi-même. Ce fut une femme de lettres, récompensée, en 1840, par l’Académie française pour un livre intitulé : le Jeune libéré, qui la première s’en occupa, ne vit en elles que des sœurs malheureuses et crut à leur innocence jusqu’à favoriser une évasion. Elle se nommait Louise Crombach, avait de l’esprit, beaucoup de sensibilité, et s’était, avec enthousiasme, ralliée aux doctrines fouriéristes qui tenaient un grand compte des exigences de la matière. L’axiome fondamental de la doctrine : à chacun selon ses besoins, promettait la civilisation en pâture au dévergondage des appétits. J’ignore si Mlle Crombach s’abaissa des théories à la pratique, mais on peut croire qu’elle avait l’âme tendre et que sa naïveté lui faisait voir des victimes là où il n’y avait que des coupables. Employée à Saint-Lazare en 1842, nommée dame inspectrice en 1844, elle a ses grandes entrées à la détention, s’engoue d’une femme Guinard, condamnée pour escroquerie, très habile en l’art de feindre, l’admire, la plaint, lui donne de l’argent et finit par s’apercevoir qu’elle a été dupée par une intrigante d’une duplicité supérieure. L’exemple n’éclaira pas la pauvre fille, que dévorait le besoin de se dévouer et qui rêvait l’abolition du mal par l’harmonie universelle, ainsi que le prophète Fourier l’avait annoncé à ses disciples. Joséphine Chaylus, qui se disait comtesse Caylus et comtesse de Marsan, — fort peu de chose en somme, — prévenue de faux en écritures commerciales, n’allait pas tarder à s’asseoir sur la sellette de la cour d’assises. Le cas était grave alors et entraînait la peine de la réclusion après l’exposition publique. Les charges étaient accablantes et la condamnation paraissait certaine. L’honnête Crombach avait le cœur ému en pensant que cette femme d’élite, cette comtesse que la malice des hommes accusait injustement, comparaîtrait devant un jury qui serait peut-être assez aveugle pour ne point reconnaître son innocence. Elle se jura de la sauver, et elle abusa de ses fonctions d’inspectrice pour la faire évader. La préfecture de police se fâcha, et ce fut Louise Crombach qui fut traduite en cour d’assises, où elle s’entendit condamner à deux années d’emprisonnement. Un vice de formes permit à la cour suprême de casser l’arrêt et de renvoyer l’affaire devant les assises de Seine-et-Oise, qui furent clémentes et acquittèrent cette malheureuse, dont la faute avait été suffisamment expiée par une longue prévention[1].

C’est à cette date et c’est à la suite de cette aventure que le

  1. Voir la Légende de la femme émancipée, par Firmin Maillard, 1 vol. in-16. Paris.