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ans, le budget de Java est en déficit. Comment finiront ces crises économiques? Avons-nous l’espoir de nous en tirer mieux que nos voisins les plus expérimentés ou que les états les plus favorisés? de faire triompher nos exploitations relativement peu étendues sur celles dont se couvrent si rapidement les deux Amériques? Tant de mécontentemens d’une part et d’incertitudes de l’autre donnent à réfléchir. Les communications deviennent de jour en jour plus faciles; on voyage, on se renseigne, on va voir les choses de près; on cherche à résoudre non-seulement suivant des principes, mais en s’appuyant sur les faits, des questions qu’on avait plus ou moins discutées jusqu’ici sans bien les connaître.

Le résultat de ces réflexions et de ces enquêtes est que la France se trouve mal récompensée de ses sacrifices ; elle est lasse d’être généreuse à son détriment. N’oublions pas non plus qu’une préoccupation plus grave que toute autre l’absorbe : elle a, trop récemment, versé tant de sang, dépensé tant de son or pour sa propre défense, qu’elle se refuse à en répandre encore quand on lui en demande pour d’autres que pour ses vrais enfans et qu’elle accueille avec défiance toute entreprise qui risquerait de l’affaiblir. Quinze ans après Waterloo, elle ne se souciait guère de purger la Méditerranée des corsaires barbaresques et de prendre Alger : elle tenait si peu à la Tunisie après 1870 qu’on la lui offrit au congrès de Berlin et qu’elle la refusa. Elle traverse une de ces crises pour ainsi dire périodiques et qui attestent plutôt un excès de vie que de l’abattement, crises qui font douter d’elle ceux-là seuls qui ne connaissent pas son histoire, qui oublient quels sont ses réveils ; elle est devenue, — oh ! momentanément, — positive ; ses jeunes écrivains ne pensent plus aux nègres de Saint-Domingue, ni au sort des petits Chinois; ils veulent, au contraire, être modernes, c’est-à-dire de leur pays et de leur temps, cherchent dans la réalité plutôt que dans le rêve leurs inspirations, et ceux d’entre eux qui depuis quinze ans se consacrent à l’étude des questions économiques ne se contentent plus de colonies qui nous font honneur, mais, interprètes d’un sentiment vraiment national et dont nous n’avons nullement à rougir après tout ce que nous avons donné déjà de nous-mêmes à l’humanité, demandent qu’elles nous enrichissent. Voilà pourquoi en Tunisie, le jour où l’hésitation ne fut plus possible, quand il fallut intervenir, on essaya le système du protectorat. Le système a réussi, mais les vrais résultats n’ont été connus que peu à peu, ils étaient contestés ; beaucoup sont encore à venir et par conséquent ne peuvent avoir raison que lentement et incomplètement des préventions générales ; le monde seul des hommes politiques se rend compte de ce qui a été fait, la masse de la nation ignore.