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l’idée qu’on se fait d’une matière première, terme imaginaire où tend, de dégradation en dégradation, la décroissance de l’activité. L’être donc, qui remplit la principale des catégories, plonge en quelque façon, par sa partie inférieure, et en même temps la qualité, dont il n’est pas réellement séparable, dans l’inerte et passive matérialité.

Telle est la doctrine qui forme la base de la métaphysique d’Aristote, doctrine d’après laquelle l’existence parfaite, ou absolue, réalité suprême de laquelle dépend tout ce qui est, consiste dans le maximum de l’action, c’est-à-dire dans la pensée, une et simple, se connaissant et se possédant elle-même.

Au moyen âge, dans la solitude des cloîtres et des écoles qui y étaient attachées, loin de la nature et de la société, on dut s’éprendre derechef, sinon de la géométrie et de l’arithmétique, dont on faisait peu d’usage, au moins d’abstractions logiques. Longtemps on y vit régner l’opinion de ceux qu’on appela les réalistes, non parce qu’ils s’attachaient aux réalités véritables, mais au contraire parce qu’ils érigeaient en réalités les notions générales, avec lesquelles s’ourdissent ces toiles d’araignée dont par le Bacon. Réaliser ainsi des abstractions qui ne prennent de consistance que dans des signes où on les résume, c’était, dit Leibniz, prendre la paille des termes pour le grain des choses.

Le nominalisme vint plus tard, le nominalisme, la secte la plus profonde, au gré de Leibniz, enseignant que la réalité des universaux se réduisait aux mots où les incorporait l’entendement. En dépassant ainsi la juste mesure du vrai, le nominalisme, pourtant, préparait cette nouvelle période où l’on allait, reprenant la tradition antique, rentrer en commerce avec la nature et avec la substance supérieure qui est l’esprit. À cette époque, et par cela même que prenaient un nouvel essor les mathématiques qui, du moins, servaient à expliquer en partie le monde physique, la philosophie comprend d’autant mieux ce qui manque à leurs formules, aussi bien qu’à celles de la logique, pour rendre raison entière des choses, et elle se remet en quête, par la métaphysique, de réalités qui y suffisent.

Descartes, démêlant les élémens opposés qui se confondaient au moyen âge sous de vagues généralités, distinguant plus nettement le corps et l’âme, la matière et l’esprit, vint fonder un système par lequel il prétendait se séparer entièrement des erremens incertains du passé. Pourtant c’était abonder encore dans le sens de la véritable philosophie péripatéticienne, sinon de celle qui avait voulu la continuer, que de distinguer, ainsi que le fit Descartes, dans l’unité même de l’esprit, comme étant l’une à l’autre dans le rapport de la passivité à l’activité, l’intelligence et la volonté, et d’attribuer ainsi