Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 80.djvu/415

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par la comparaison de deux termes à un troisième qu’on prend pour moyen, ce qui donne lieu à la constitution d’une proportion. Mesure et proportionnalité sont même chose. Mais il est des termes de telle sorte que, mis en ordre, on peut saisir d’un coup d’œil leur rapport. C’est où tend la méthode. Son effort suprême est, selon Descartes, de ramener les questions de mesure ou de proportion à de simples questions d’ordre, et de conduire ainsi de la déduction, à laquelle nous obligent les conditions de division et de succession qui constituent la matérialité, à la simplicité de l’intuition. Comment atteindre à ce but et convertir le problème de mesure en simple problème d’ordre? En rangeant les objets en une série ou file (c’est le sens du mot ordre) où il y ait un premier, un second et ainsi de suite, et où l’on voie d’un coup d’œil la ressemblance qu’il y a du premier au second. Et enfin la ressemblance a pour fondement l’identité d’une essence commune plus ou moins mêlée d’accidens.

En effet, il y a en chaque genre de choses, dit Descartes, une nature simple ou absolue qui est le principe par laquelle s’expliquent les relatifs. L’art est de la découvrir et de montrer comment le reste s’y rapporte. Et c’est ce que l’on fait en classant les choses dans l’ordre où l’on voit l’absolu se charger successivement d’accessoires qui en altèrent la pureté.

Leibniz a remarqué qu’on peut comparer les choses, soit à raison de ce que l’une contient l’autre, et c’est les comparer par leur quantité, soit à raison de ce que l’une ressemble à l’autre, et c’est les comparer par leurs qualités. Ramener une question de mesure à une question d’ordre ou arrangement, c’est donc du point de vue de la quantité passer à celui de la qualité, c’est passer d’un genre inférieur, où est de mise la déduction, à un genre supérieur, où n’a lieu que l’intuition; c’est là, dit Descartes, le secret de l’art, dont, par parenthèse, ne dit rien le Discours de la méthode, exposé populaire et sommaire, mais qu’avait pour objet de dévoiler le Traité de la manière de dresser l’esprit qui doit appartenir aux dernières années de son auteur, et que, malheureusement, il n’a pas achevé. Rien ne prouve que Pascal ait eu connaissance de ce traité. Mais ses idées sur la faculté qui appartient à l’esprit de finesse de voir « d’une seule vue » procèdent de la même conception qui fait le fond de l’ouvrage posthume de Descartes, et vont au même but. Et il se pourrait bien, s’il ne connut pas le livre, que ces idées eussent pris naissance dans ses conversations avec Descartes, où il dut être souvent question de géométrie et de méthode. Si d’ailleurs Descartes, en énonçant les principes que renferment les Regulœ ad directionem ingenii, les