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Dans l’ordre moral, l’homme apparaît à Pascal ballotté, encore plus que dans l’ordre physique, parmi les vagues en lutte d’une mer orageuse. Aussi relève-t-il, à la suite de Montaigne, ces variétés innombrables d’opinions et d’usages qui semblent exclure toute idée de lois universelles. Il n’en sait pas moins, puisqu’il y a, suivant lui, une morale qui a sa règle, que toutes ces diversités et contrariétés auxquelles sont sujettes les choses humaines sont, comme celles des choses naturelles, des altérations d’un type universel, altérations résultant de la différence des circonstances, et qui, pareilles à des déformations perspectives, laissent retrouver, si l’on se place au juste point de vue, l’unité de leur principe.

La condition moyenne, en même temps et par cela même flottante et incertaine, est celle de toutes les créatures. Mais l’homme seul le sent et en souffre.

Ici le christianisme vient se jeter, en quelque sorte, dans le cours de la pensée de Pascal comme un affluent qui l’accroît et le précipite. Ou plutôt, imbu dès son enfance des maximes chrétiennes, mais s’en pénétrant davantage, lorsque revenu, non-seulement de la poursuite de la science mathématique, qu’il finit, de même que Descartes, par dédaigner comme inutile, mais aussi de ce qu’il appelle le divertissement et de la vie du monde, ainsi que des passions qu’elle fomente, il se plonge à la fin tout entier, au désert dans lequel il s’est retiré, dans une méditation des choses divines où se mêlent intimement avec sa foi religieuse les idées qu’ont formées chez lui, dans toute sa vie antérieure, ses études et son expérience.


III.

D’où vient que l’homme se trouve mal à l’aise dans la région moyenne qu’il habite? C’est qu’il a appartenu à la région supérieure, et qu’il en a conservé le souvenir et le regret. Par là il est grand en même temps que misérable, et grand par le sentiment même de sa misère. Cette misère est celle d’un roi dépossédé.

Aux yeux de Pascal, il y a donc en l’homme grandeur et bassesse tout ensemble. Aux deux parties hétérogènes de la nature humaine ont répondu, suivant lui, deux doctrines qu’il connaît, l’une par Epictète, l’autre par Montaigne. La première n’a vu dans l’homme que ce qu’il a de grand, et fait de lui un dieu; la seconde n’a vu dans l’homme que ce qu’il a de bas, et fait de lui une brute. Dans ces deux conceptions de la nature humaine se résume pour Pascal toute l’histoire de la philosophie. C’est ainsi qu’il l’expose à M. de Saci dans le célèbre entretien qui nous a été conservé