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funérailles, l’officiant ne cesse de brûler des bois de senteur sur un brasier placé à côté du cadavre. Celui-ci est ensuite porté sur une civière au cimetière, le dockma, ou la Tour du Silence, et déposé sur une large dalle. On découvre le visage pour que ses parens et ses amis puissent le contempler une dernière fois. Ceci fait, on abandonne le corps à de nombreux vautours, qui, très rapidement, en dévorent la chair.

N’oublions pas de mentionner un bien singulier usage. Avant d’enlever le défunt de la maison mortuaire, la face est découverte deux ou trois fois en présence d’un chien. Les chiens, — Ceux du moins qui ont au-dessus des yeux deux taches de feu, — sont considérés comme des animaux sacrés. On croit qu’ils conduisent les âmes au ciel et que leurs prunelles doubles ont le don d’éloigner les mauvais esprits. Selon les écritures de Zoroastre, un mort n’est privé de son âme que trois jours après son décès, et c’est pourquoi, pendant ces trois jours, un prêtre brûle du bois de santal non loin du lieu de la sépulture. Le quatrième jour, l’âme entre dans un monde inconnu, et des prières sont encore dites dans la maison mortuaire pour faciliter cette entrée.

La Tour du Silence a la forme d’un immense réservoir à gaz découvert par le haut. Les murailles circulaires sont construites en pierres dures, peintes extérieurement à la chaux. Elles ont, à Bombay, trente pieds d’élévation. Dans l’intérieur du sinistre monument se trouve une plate-forme de trois cents pieds de circonférence, formée de trois rangées de dalles granitiques sur lesquelles les corps sont déposés, nus, la face tournée vers le ciel. Comme il y a la même quantité de dalles dans chaque rangée concentrique, elles diminuent forcément de grandeur en convergeant vers le milieu de l’édifice.

Sur les plus grandes sont déposés les cadavres des hommes, sur les suivantes ceux des femmes, et les plus petites reçoivent les corps des enfans. Dans chaque rangée, le granit a été creusé de façon à former de petits canaux qui reçoivent les matières liquides des morts : elles découlent dans un vaste puits placé au centre de la tour. Lorsque les vautours ont achevé leur œuvre, ce qui s’accomplit en une heure, les ossemens, rapidement desséchés par le soleil des tropiques, sont jetés pêle-mêle dans le puits central. Là, ils se transforment en poussière : riches ou pauvres y sont confondus dans une égalité parfaite. Il est, dans les œuvres de Zoroastre, un verset ainsi conçu : « Que la terre, notre mère, ne soit jamais souillée ! » Les Parses, pour éviter cette souillure, livrent leurs corps aux vautours, puis remplissent de chaux vive et de grès filtrans le puits horrible, ainsi que les petits canaux conducteurs.