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contre le droit des gens, l’humanité et l’hospitalité, avec quel abus de la force, par quel tissu de brutalités et de fourberies[1], avec quelle oppression de l’allié et quelle spoliation du vaincu, par quel brigandage soldatesque exercé sur les peuples en temps de guerre, par quelle exploitation systématique pratiquée sur les peuples en temps de paix[2], il faudrait des volumes pour l’écrire. — Aussi bien, à partir de 1808, les peuples se lèvent contre lui: il les a

  1. On connaît l’affaire d’Espagne; ses procédés, à l’endroit du Portugal, sont antérieurs et du même ordre. — Correspondance. (Lettre à Junot, 31 octobre 1807) : « Je vous ai déjà fail connaître qu’en vous autorisant à entrer comme auxiliaire, c’était pour que vous pussiez vous rendre maître de la flotte (portugaise), mais que mon parti était décidément pris de m’emparer du Portugal. » — (Lettre à Junot, 23 décembre 1807) : « Que le pays soit désarmé; que toutes les troupes portugaises soient dirigées en France;., je désire en débarrasser le pays; que tous les princes, ministres et autres hommes qui peuvent servir de points de ralliement soient envoyés en France. » — (Décret du 23 décembre 1807 : « Une contribution extraordinaire de 100 millions de francs sera imposée au royaume de Portugal pour servir au rachat de toutes les propriétés, sous quelque dénomination qu’elles soient, appartenant à des particuliers... Tous les biens appartenant à la reine de Portugal, au prince régent et aux princes apanages,.. tous les biens des seigneurs qui ont suivi le roi dans son abandon du pays et qui ne seraient pas rentrés dans le royaume avant le 1er février, seront mis sous le séquestre.» — Cf. M. d’Haussonville, l’Eglise romaine et le premier Empire, 5 vol. (notamment les trois derniers). Aucun autre ouvrage ne fait toucher mieux et de plus près le but et les procédés politiques de Napoléon.
  2. Souvenirs du feu duc de Broglie, p. 143. (Spécimen des procédés en temps de guerre, registre des arrêtés du maréchal Bessières, commandant à Valladolid, du 11 avril au 15 juillet 1811.) — Correspondance du roi Jérôme, lettre de Jérôme à Napoléon, 5 décembre 1811. (Spécimen de la situation des peuples vaincus en temps de paix) : « Si la guerre vient à éclater, toutes contrées entre le Rhin et l’Oder seront le foyer d’une vaste et active insurrection. La cause puissante de ce mouvement dangereux n’est pas seulement dans la haine contre les Français et l’impatience du joug étranger elle est encore plus dans le malheur des temps, dans la ruine totale de toutes les classes, dans la surcharge des impositions, contributions de guerre, entretien des troupes, passage des soldats et vexations de tout genre continuellement répétées... A Hanovre, Magdebourg et dans les principales villes de mon royaume, les propriétaires abandonnent leurs maisons et chercheraient vainement à s’en défaire au prix le plus vil... Partout la misère accable les familles; les capitaux sont épuisés; le noble, le paysan, le bourgeois, sont accablés de dettes et de besoins... Le désespoir des peuples, qui n’ont plus rien à perdre parce qu’on leur a tout enlevé, est à craindre. » — De Pradt, p. 73. (Spécimen des procédés soldatesques en pays allié.) A Wolburch, dans le château de l’évêque de Cujavie, « je trouvai son secrétaire, chanoine de Cujavie, décoré du cordon et de la croix de son chapitre, qui me montra sa mâchoire fracassée par les larges soufflets que lui avait appliqués la veille M. le général comte Vandamme pour un refus de vin de Tokai que le général demandait impérieusement et que le chanoine refusait, en disant que le roi de Westphalie avait logé la veille dans le château et avait fait charger ce vin en totalité sur ses chariots. »