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Valée, le 31 janvier 1838, je crains que nous ne soyons obligés d’assurer nos conquêtes par de nouvelles victoires, et que la paix de la Tafna n’ait servi qu’à nous procurer dans l’ouest une halte indispensable et sans laquelle l’expédition de Constantine aurait dû encore être ajournée. » De son côté, le gouverneur écrivait, le 5 février, au général Bernard : «Je ne veux pas la guerre; mes efforts, depuis trois mois, ont eu pour but de conserver la paix. J’éviterai une rupture, tant que l’honneur de la France le permettra; le gouvernement du roi peut seul fixer la limite au-delà de laquelle la patience ne serait plus possible. Je n’essaierai pas d’influencer ses décisions, encore moins de lui conseiller la guerre; mais j’ai cru de mon devoir de lui faire connaître l’état des choses. » Vers le même temps, un jeune Français, M. Léon Boches, qui, la paix conclue, avait cru pouvoir se rendre auprès de l’émir et lui servir de secrétaire, recueillait de sa bouche même la déclaration suivante : « En faisant la paix avec les chrétiens, je me suis inspiré de la parole de Dieu qui dit dans le Coran : « La paix avec les infidèles doit être considérée par les musulmans comme une trêve pendant laquelle ils doivent se préparer à la guerre. » j’ai souscrit à des conditions que j’observerai tant que les Français observeront celles que je leur ai imposées. La durée de la paix dépendra de leur conduite à mon égard, et, pour la rupture, ce n’est pas de mon côté qu’elle viendra. Lorsque l’heure de Dieu aura sonné, ils me fourniront eux-mêmes des causes plausibles de recommencer la guerre. » Des deux côtés, on avait le sentiment qu’il faudrait un jour ou l’autre recourir encore à la force ; mais c’était cette échéance qu’on s’efforçait de reculer le plus possible. Chacun des deux adversaires était persuadé que le temps travaillait pour lui : grande et funeste illusion du côté de la France, grande et légitime conviction du côté d’Abd-el-Kader.


II.

Cette fausse paix qui entretenait autour d’Alger le malaise indéfinissable, la sourde agitation d’une fièvre lente, laissait au contraire Oran dans la torpeur. Où étaient les vivifiantes émotions d’antan, les expéditions, les surprises, les combats? Il n’en restait plus qu’un lointain souvenir, et, cependant, le général Bugeaud était demeuré là, depuis le traité de la Tafna, pendant plus de cinq mois encore ; c’est que le vaincu de La Sikak avait dans ces contrées plus d’autorité que son vainqueur, et qu’il suffisait qu’Abd-el-Kader eût tourné ailleurs son ambition et sa fortune pour qu’il eût emporté avec lui en quelque sorte la vie de la province d’Oran. Aussi le général Bugeaud aurait-il quitté plus tôt sans doute cette