Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 80.djvu/550

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans Mila, le général Galbois fut informé par le caïd qu’une jeune fille folle, ou mieux derviche, entourée du plus grand respect par tous les musulmans, se promenait dans la ville avec le simple costume d’Eve ; il fut prié instamment de la faire respecter par les soldats. Le général le promit, et, en effet, un ordre du jour bien motivé recommanda expressément à tous de la respecter, ainsi que faisaient les habitans, ce qui fut scrupuleusement observé. Que l’on se figure maintenant cette jeune fille de dix-sept ans au plus, bien faite, bistrée et basanée, se promenant dans un camp au milieu des soldats, regardant tout cet ensemble nouveau pour elle, on comprendra l’étonnement qu’elle devait produire. Je l’ai vue un matin s’approcher d’un groupe de soldats qui déjeunaient et prendre part à leur gamelle : tout se passait comme si la jeune fille avait été un convive habitué, faisant partie de l’escouade. Pendant les deux jours que nous sommes restés à Mila, la consigne fut exactement suivie. Le caïd, très sensible à ce témoignage de respect donné à cette sainte fille, en exprima sa reconnaissance au général, au nom de tous les habitans. » Quand la marche fut reprise, la tourmente était encore si furieuse qu’on fut obligé d’abandonner les malades, les tentes, une partie des vivres et les gros bagages à la bonne foi des Arabes, qui, de leur côté, tinrent religieusement leur parole ; au retour, tout fut restitué intégralement, même une sacoche de quelque deux cents francs qu’avait oubliée une cantinière.

Quelle magnifique promenade, si le ciel avait été plus clément, que ce passage des troupes au travers d’une contrée pittoresque, toute jonchée de ruines romaines! La route en était littéralement jalonnée. Le 12 et le 13, on fit halte à Djémila, au pied d’un arc de triomphe dédié à Septime Sévère ; le 15, on arrivait enfin à Sétif, l’ancienne capitale de la Mauritanie sitifienne ; là, le général Galbois apprit indirectement que, devant la violence et la persistance du mauvais temps, le maréchal Valée avait renoncé à l’expédition annoncée sur Hamza. Après une journée de repos, la colonne reprit, le 16, dans la nuit, le chemin de Constantine. Le général avait été averti que les Kabyles, surpris à son arrivée, l’attendaient à la retraite. L’infanterie, qui marchait devant, se trompa de route et inclina vers la plaine des Abd-en-Nour, tandis que la cavalerie reprenait le chemin de Mila. L’attaque de l’ennemi sur l’avant-garde eut le bon effet de faire connaître au général l’erreur qu’elle avait commise ; les deux colonnes se rejoignirent et forcèrent ensemble le col de Mons, où s’étaient massés les Kabyles. Heureusement le beau temps était tout à fait revenu. A Djémila, dont la petite garnison avait été légèrement inquiétée les deux nuits précédentes, le général crut devoir laisser, à titre d’occupation provisoire, le 3e bataillon