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longtemps négligés par lui, et qu’ayant voulu préparer sa confession générale, il avait jeté sur le papier quelques notes pour se mieux reconnaître dans ses péchés. Comme un jour il montrait ces notes à Joseph et que celui-ci s’étonnait de leur brièveté : « Ce ne sont que des têtes de colonnes, lui répondit Xavier avec humilité, ce ne sont que des têtes de colonnes. » Les indications de la statistique criminelle ne sont également que des têtes de colonnes. Mais ces colonnes sont assez nombreuses pour qu’une nation moins orgueilleuse que la nôtre en pût tirer, comme on va le voir, plus d’une utile leçon.


I.

Après avoir compté sur la statistique criminelle pour répondre au nom de la conscience nationale, je ne voudrais pas médire de la statistique elle-même. Mais il faut convenir qu’il n’y a pas d’instrument dont l’usage soit plus délicat et plus dangereux. La statistique ne fournit qu’une chose : des faits bruts. Dès que de ces faits on veut tirer des conclusions morales, il faut procéder avec une infinie circonspection et s’assurer à chaque instant si quelque modification dans les rouages n’est pas venue fausser la précision apparente de l’instrument qu’on manie. Un examen sommaire des résultats de la statistique criminelle dans notre pays va nous en convaincre.

Le ministère de la justice a publié, en 1882, un intéressant travail dont il convient de faire honneur au directeur de la statistique, M. Yvernès, bien connu non-seulement en France, mais en Europe, de tous ceux qui se sont occupés de ces questions. Ce travail est la réunion en un seul volume des principales constatations relevées par la statistique criminelle depuis sa création, c’est-à-dire depuis 1826, et condensées dans des tableaux ou des cartes, suivant les procédés de statistique graphique si fort à la mode aujourd’hui ; le tout précédé d’un rapport qui met en lumière les considérations les plus intéressantes tirées de ces tableaux. M. Yvernès est un des rares hommes qui savent, comme il faut le faire, à la fois se servir et se défier de la statistique. Avec un guide aussi sûr, nous pouvons nous aventurer dans ce dédale de chiffres qui résument un demi-siècle de criminalité française, et, si la promenade est aride, du moins elle ne sera pas sans quelque profit.

En premier coup d’œil jeté sur la statistique criminelle pourrait, au premier abord, engendrer une de ces illusions dont je parlais tout à l’heure, et qui conduirait à des conclusions tout à fait erronées. Si l’on compare, en effet, les deux termes extrêmes de ce demi-siècle sur lequel portent les relevés statistiques, la période quinquennale de 1826 à 1830 et la période de 1876 à 1880, on est