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Nombre moyen annuel : 102 pendant la première période de la statistique judiciaire ; 194 pendant la dernière; 171 seulement, il est vrai, en 1884. Mais est-ce bien là tout le contingent de la criminalité maternelle, et la correctionnalisation ne joue-t-elle pas ici son rôle? M. Yvernès n’hésite pas à l’affirmer, et il reconnaît qu’un grand nombre d’infanticides sont correctionnalisés sous la qualification de suppression de part (non-déclaration de la naissance d’un enfant), délit qui a été créé par la loi de 1863. Or le nombre de poursuites pour suppression de part a été en augmentant rapidement depuis 1863, et il est indéniable qu’on se trouve ici en présence d’une augmentation dont le caractère est particulièrement douloureux, bien que cette augmentation puisse être expliquée en partie par une meilleure organisation de la police judiciaire et une recherche plus active d’attentats qui autrefois demeuraient souvent ignorés de la justice.

Enfin, il est une dernière série de crimes qui échappe, sinon complètement, au moins en grande partie, à la correctionnalisation; ce sont les crimes contre les mœurs, dans lesquels sont compris les viols et les attentats à la pudeur. Lorsque ces attentats ont lieu contre des adultes, la correctionnalisation peut s’exercer par la transformation en une prévention d’outrage public à la pudeur. Par là s’explique peut-être que le nombre moyen annuel de ces accusations, après avoir cru rapidement de 1826 à 1860, ait diminué depuis cette époque dans une proportion assez sensible. Mais il n’en a pas été de même pour les attentats à la pudeur contre les enfans, qui ne sauraient se correctionnaliser, et dont le nombre a fait plus que quintupler (136 par an de 1826 à 1860 ; 791 de 1876 à 1880). Or, s’il est un crime odieux, ignoble, auquel il soit impossible de trouver une excuse, comme parfois au meurtre ou même à l’assassinat, c’est assurément celui-là. Une augmentation aussi continue, aussi sensible, ne peut s’expliquer que par une aggravation dans la grossièreté des mœurs de la nation, par une sorte de retour à l’instinct animal, paraissant éclater surtout chez ceux qui vivent au milieu des conditions de la civilisation la plus avancée, sans participer cependant à ses jouissances. C’est ainsi que ce crime est beaucoup plus fréquent dans les villes que dans les campagnes, et que la population ouvrière y participe dans une proportion plus élevée que la population rurale. Ajoutons, comme triste et dernier détail, qu’un tiers de ces crimes est commis par des hommes de plus de soixante ans.

En résumé, si nous additionnons les crimes de différente nature sur lesquels les habitudes de correctionnalisation n’exercent que peu d’influence, et si nous comparons ce chiffre total pour les deux périodes extrêmes de la statistique judiciaire que nous avons rapprochées