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contre les mœurs, le nombre des prévenus ayant passé de 12 à 23 sur 1,000, c’est-à-dire ayant presque doublé.

Laissons de côté maintenant ces proportions qui, par leur abstraction même, parlent peu à l’esprit, pour nous mettre en présence de la réalité. Prenons les principaux délits et voyons quelle a été en fait l’augmentation du nombre moyen annuel des poursuites depuis la première jusqu’à la dernière période de la statistique judiciaire. Les rébellions et outrages envers les fonctionnaires ont passé de 3,344 à 14,965; les coups et blessures, de 8,426 à 18,446 ; les vols, de 9,871 à 33,381; les escroqueries et abus de confiance, de 1,170 à 6,371: les délits de toute nature contre les mœurs, de 497 à 3,397; enfin, les poursuites pour mendicité et vagabondage, de 3,296 à 16,504. Pour toutes les catégories de délits que je viens de citer, la statistique judiciaire de 1884 relève encore des chiffres supérieurs[1]. Cette augmentation de la criminalité a donc été constante, ininterrompue depuis un demi-siècle, sauf un léger recul qui a marqué le milieu de la période impériale, et qui a été bien vite regagné. Elle s’est poursuivie au travers de tous les événemens publics, et elle a signalé tous les régimes, aussi bien la monarchie et l’empire que la république. Il faut donc savoir reconnaître que cette augmentation n’est explicable par aucune de nos mesquines considérations politiques, et qu’elle présente tous les caractères d’un grand fait social dont il faut chercher les causes profondes. Une fois constaté d’une façon indéniable, ce fait soulève un problème qui se pose dans les termes suivans.

Depuis que l’homme a commencé d’appliquer à l’amélioration de sa condition matérielle les dons de l’intelligence qui lui ont été départis, et qui établissent une différence si profonde entre lui et les autres animaux avec lesquels on se plaît à le confondre dans la bassesse d’une commune origine, chaque siècle a marqué une étape dans la marche de ce qu’on appelle d’un nom, nous allons le voir, peut-être un peu ambitieux : le progrès. Avec des temps d’arrêt et parfois des reculs soudains dus à l’invasion par les races barbares des pays anciennement civilisés, l’humanité a franchi lentement la distance qui sépare la grossièreté des temps primitifs des raffinemens de la civilisation moderne. Mais son allure a été plus ou moins rapide ; parfois elle n’a marqué que quelques pas imperceptibles ; parfois, au contraire, elle a franchi d’un bond l’espace qu’antérieurement elle avait mis plusieurs siècles à parcourir. Pour restreindre la comparaison à notre histoire et à notre pays, les deux derniers

  1. Voici les chiffres de la statistique judiciaire de 1884 : rébellion et outrages envers les fonctionnaires, 15,941 ; coups et blessures, 21,744 ; vols, 35,445 ; escroqueries et abus de confiance, 6,827; délits contre les mœurs, 3,407; mendicité et vagabondage, 24,806. Total général de la statistique : 184,969 affaires et 217,960 prévenus.