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magistrats instructeurs, combien même elle doit faire peser de légitimes préventions contre ceux dont la tête présenterait cette conformation alarmante. Qu’on ne prenne point ceci pour une raillerie. Lombroso n’hésite pas à dire que, dans les cas d’empoisonnement, où les preuves font défaut, l’introduction de ce qu’il appelle le critérium anthropologique peut tenir lieu de l’expertise légale. Ce qui constitue aux yeux du professeur Lombroso le critérium anthropologique, c’est la réunion chez un même individu de ces traits caractéristiques dont je viens d’énumérer les principaux. Celui qui présente tous ces caractères, celui-là est à ses yeux un criminel-né. Or le criminel-né est irresponsable et incorrigible, et il faut se comporter avec lui en conséquence. Il ne faut pas à proprement parler le punir; avec lui, la punition ne servirait de rien, puisqu’il n’était pas libre d’agir autrement qu’il ne l’a fait. Mais il ne faut surtout pas le relâcher. Pour lui point de grâce. Quelque infraction qu’il ait commise, il faut le soumettre à la détention perpétuelle. « La prison à vie, moins le nom, » tel est le régime que, dans la préface de la quatrième édition de son ouvrage, Lombroso propose formellement d’appliquer aux criminels-nés, et il faut convenir que, partant du point de vue auquel il s’est placé, la conclusion à laquelle il aboutit est absolument logique.

Je ne veux pas relever pour l’instant ce que présenterait d’inhumain dans la pratique le système de Lombroso. Mais pour se résoudre à des conclusions aussi dures, il faudrait du moins que les prémisses en fussent assurés. Il faudrait que les caractères distinctifs du type criminel fussent déterminés d’une façon certaine et se retrouvassent chez les criminels d’habitude avec une régularité constante. En est-il ainsi dans la réalité des faits? En aucune façon. L’auteur d’un intéressant opuscule sur la Criminalité comparée, M. Tarde, qui soumet à une critique ingénieuse les doctrines de Lombroso, a eu soin de relever les contradictions qui existent entre les observations faites par le professeur italien et par les anthropologistes des autres pays. Ainsi, pour citer quelques exemples, l’homme criminel serait plus lourd que l’homme ordinaire, d’après Lombroso. Il serait au contraire plus léger, d’après deux anthropologistes anglais, Thompson et Wilson, et même d’après un anthropologiste italien, Virgilio. Sa capacité crânienne serait inférieure suivant Lombroso, supérieure suivant Heger, identique suivant Ranke, à celle de l’homme ordinaire. Enfin la fameuse fossette, découverte par Lombroso sur 16 pour 100 des criminels et 5 pour 100 seulement des honnêtes gens, se trouve dans la proportion de 22 pour 100 chez les Juifs, race qui est peu portée aux crimes violens. Il est infiniment probable que, si les autres indices du type criminel relevés par Lombroso