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Cependant ces novateurs ne sont pas d’accord entre eux. C’est ainsi que, dans un article publié récemment par la Revue philosophique, Garofalo déclare « que le doute règne encore sur les données de l’anthropologie ; que sur plusieurs points mêmes, le désaccord entre anthropologistes est complet, et qu’en réalité il n’a pas été possible d’établir jusqu’à présent une anatomie du criminel. » Mais allant, sous certains rapports, plus loin que Lombroso, il n’admet pas la distinction établie par celui-ci entre le criminel d’habitude et le criminel par accident. Il n’y a pas, selon lui, de délinquant fortuit et il existe toujours dans le criminel un élément congénital différentiel. Cet élément congénital constitue ce qu’il appelle l’anomalie du criminel, anomalie morale dont celui-ci n’est pas plus responsable qu’il ne le serait d’une anomalie physique. Par une voie différente, Garofalo arrive donc à cette même conclusion, qui est celle de toute l’école : la suppression de la responsabilité chez le criminel. Mais le plus hardi et le plus affirmatif est encore celui qui s’est fait l’introducteur de Lombroso auprès du monde philosophique français, le docteur Charles Létourneau. On ne saurait s’imaginer avec quel superbe dédain M. Létourneau parle, dans sa préface, « tantôt des théories vénérables et vermoulues de l’antique criminalité, » tantôt « de l’antique philosophie du droit pénal, qui aujourd’hui nous fait pitié, » tantôt « des doctrines métaphysiques virtuellement minées par la science et qui, en dépit des faits, continuent à enseigner que l’homme est libre. » Quant à sa propre doctrine, voici comment M. Létourneau la résume : « Nous savons que, quoi qu’il arrive, et quel qu’il soit, l’homme obéit toujours et fatalement au mobile le plus fort. » Encore si, à cette doctrine, M. Létourneau se montrait logiquement fidèle. Mais non ; car, à la page suivante, recherchant les moyens les plus efficaces de suppléer à l’insuffisance actuelle des mesures répressives, il se prononce « pour une taxe sur les comptes-rendus des procès criminels et pour un système de récompenses accordées aux actions vertueuses.» Qu’est-ce à dire et quelle est cette concession? Comment une action peut-elle être vertueuse si elle n’est pas librement commise ; et si l’homme obéit fatalement au mobile le plus fort, quel droit peut-il avoir à une récompense? Était-ce bien la peine de le prendre de si haut avec tous ceux qui vous ont précédés dans l’étude de ces questions difficiles pour aboutir à des conclusions aussi contradictoires? On ne s’attendait guère à voir les prix de vertu intervenir en cette affaire, et je ne sais trop ce que M. de Montyon aurait pensé d’un disciple aussi peu conséquent.

Il est une autre explication que l’école anthropologiste dorme de la criminalité : c’est l’hérédité. Lombroso en fait grand état,