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que, Madras une fois pris, on aurait des vivres, de l’argent, du crédit[1]. Personne n’en doutait, et, une fois le principe admis, rien n’était plus certain ; mais tout le monde ne convenait peut-être pas qu’il fût aisé d’exécuter ce qui servait de principe à la harangue. » Ouvre-t-on le journal au récit de la levée du siège de Madras, on est frappé par cette affirmation si nette : « Il n’eût tenu qu’à Lally de prendre la ville. »

Feuillette-t-on les pages où il est question de la marche du général sur Madras, Lally y est peint comme enfiévré du désir d’enlever la place : « Environné de deux mille neuf cents Français et de quatre mille noirs, suivi de vingt-deux pièces de campagne, de quatre de 18, il envahit d’avance en idée tout le territoire des Anglais, prend Madras et chasse son ennemi de toute l’étendue de l’Inde. Il lui tarde de venir à l’exécution de son vaste projet. L’abondance excessive de la pluie, les boues extraordinaires dont les chemins sont remplis, le mécontentement de la troupe, les désertions, ne lui paraissent devoir le remettre même de quelques jours. »

Lally prétend pouvoir assurer que Madras ne lui échappera pas ; il se flatte à tout propos de cette espérance. Arrive-t-on à la narration des travaux du siège, Lally n’est plus qu’un traître, qui se réjouit de leur lenteur, qui cherche tous les moyens pour faire échouer l’opération. « M. le général n’eût pas assurément mieux choisi son point d’attaque, s’il eût consulté le gouverneur de Madras... Cependant la vivacité de notre tir en imposait à l’ennemi, qui ne répondait plus que de dix à douze pièces. » On dirait, en vérité, que c’est Dure, l’incapable ingénieur des travaux de siège, qui parle! «De nouveaux ordres donnèrent à l’ennemi les moyens et le temps de réparer le mal qu’il avait souffert. Le 10, on ne se trouvait guère plus avancé que le premier jour. Le général ne put s’empêcher de s’en apercevoir ; s’il n’en fut pas fâché, du moins le parut-il. Le coupable n’était pas loin; on l’allait chercher partout où il n’était pas. »

Le père Lavaur raconte-t-il la prise d’Arcate par Lally, il a bien soin de rabaisser le fait d’armes en déclarant que « le fort d’Arcate n’était pas bien fortifié et que la place en elle-même est peu de chose. » Mais lorsqu’il parle de la reprise de la même ville par les Anglais, il change de ton : « La force des fortifications ne fut pas capable d’arrêter la hardiesse de l’ennemi. »

Lit-on le récit de la révolte des troupes, le père Lavaur affirme, au commencement de la page, que « c’était le moindre des soucis

  1. Archives nationales. Parlement, procès criminel. Journal de Lavaur, carton 1396x2B.