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La prétention de Pasquier[1], c’est d’avoir, à l’aide des interrogatoires et des témoignages, rétabli la synthèse du drame dont Pondichéry avait été le théâtre. Ce qu’il veut, ce n’est plus s’occuper des détails, mais examiner l’ensemble. Il déclare que ce qui ressort de l’ensemble, c’est que Lally a accélère la perte totale de la colonie, indépendamment des autres causes qui y ont contribué, par ses abus d’autorité en tout point. Peut-on l’accuser de trahison? Il faut distinguer, « car les principes, sur ce qu’on appelle trahison, sont si déliés, qu’ils ne s’aperçoivent pas du premier coup d’œil. Il y a plus d’une trahison. L’une, c’est la grossière, c’est la tradition lâche ou frauduleuse d’une place confiée au commandant; l’autre est indépendante de celle qui devient évidente par la livraison de la place ou du poste, celle qui se prouve par l’ensemble des faits. » Et alors le rapporteur dessinait un tableau des opérations de Lally, comme il les voyait lui-même, à travers les mensonges et les perfidies du père Lavaur. Cependant il n’ose parler que d’indices, que de soupçons, que d’intelligences suspectes, que de probabilités qui approchent de l’évidence. Il accuse le général de mauvaise volonté, de mauvaise humeur, de haine contre Pondichéry. Il affirme que les négociations de Lally furent ridicules, ses ordres absurdes, ses opérations mal combinées, ses expéditions des tissus de démence, sa capitulation un galimatias inexplicable. Il le représente comme un être inconséquent, comme un roi de théâtre, comme un malheureux atteint de démence. Mais il ne précise aucun crime, aucun délit. Il n’articule pas une fois le mot de traître, le mot de concussionnaire. L’incapacité, la démence, ne sont pourtant pas punies par la loi! Mais cela n’empêche pas le rapporteur d’affirmer dans ses conclusions que, s’il n’y a pas eu une trahison évidente, il y a une conduite digne de punition, il y a un crime de lèse-majesté au second chef, toujours de par l’ensemble.

« Enfin[2], s’écrie Pasquier, la perte de l’honneur, l’opprobre, l’infamie, les peines pécuniaires les plus étendues ne seraient pas suffisantes pour expier un crime qui blesse la fidélité qu’un sujet doit à son roi, d’un sujet qui, loin de répondre à la confiance dont on l’avait honoré, loin de reconnaître les grâces et les honneurs dont on l’avait comblé, a préféré se livrer aux dérèglemens de son cœur et de son esprit, pour n’écouter que ce que lui inspiraient les noires passions de la haine, de la jalousie, peut-être même d’une basse cupidité !.. Nous ne pouvons laisser passer sans une punition effrayante la conduite d’un homme qui n’a réuni l’autorité la plus étendue que pour en abuser, qui a fait servir l’éloignement où il était des regards du souverain pour détourner, s’il l’avait pu, sur

  1. Procès de Lally. Archives nationales.
  2. Procès de Lally. Archives nationales.