Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 80.djvu/662

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans argent, sans vaisseaux, sans vivres, il défendait sa place pendant neuf mois ? Trahissait-il son roi, lorsque, la surveille de la reddition, sur le bruit d’une entreprise formée par l’ennemi, accablé de maladie, il se faisait transporter dans un lit sur les remparts pour faire distribuer aux canonniers exténués la dernière pièce de vin qui lui restât?.. »

Ainsi, l’humiliation pour la France, Pondichéry ruinée, incendiée, détruite de fond en comble, un grabat pour Dupleix mourant, la tête de Lally roulant sous la hache du bourreau : voilà le dénoûment tragique de cette lutte de dix ans pour la possession de l’Inde. Et ce dénoûment, il est forcé, inévitable, car il est dans la loi des choses. Aux peuples qui s’abandonnent, aux gouvernemens qui n’ont ni la volonté des sacrifices, ni l’intelligence politique, ni la ténacité, ni le courage, le désastre à la fin. Il ne suffit pas à un ministre de dire : « Je fonderai un empire colonial ; » il lui faut une conception nette et virile des lois qui vont présider au développement de ce qui n’est encore qu’un embryon.

Cette conception, le cabinet de Versailles ne l’eut pas. Il ne sut point reconnaître les lois des formations coloniales, et par cela même il ne sut point organiser les établissemens d’outre-mer. Il ne chercha pas à leur communiquer l’étincelle qui donne la vie. Il ne vit point que ses possessions du Canada, de la Louisiane, des Antilles, de l’Inde, étaient autant de cellules particulières, d’individualités propres qui, pour vivre et croître, exigeaient chacune le libre développement de leurs organes.

Il resta sourd, aveugle, inerte, muet devant cet axiome : un régime politique spécial pour chaque colonie, car chaque colonie se meut dans un ordre de climat, de peuples, de mœurs, de caractères absolument dissemblables. Cela est si clair que, pour résoudre la question, il suffit de la poser. Peut-on donner le même organisme politique au Tonkin, à la Nouvelle-Calédonie, à l’Algérie, alors que sur ces terres habitent des peuples de race chinoise, calédonienne, arabe, aux mœurs, aux religions si opposées, aux instincts pacifiques ou belliqueux, alors surtout qu’il faut les soumettre sans trop de peine au joug du conquérant ? Non ! Et cette loi, l’Angleterre l’a comprise la première. Si ce fut Dupleix qui, un des premiers, dirigea les courans dont les flots apportent les matériaux nécessaires à la fondation des empires d’outre-mer. Clive, plus heureux, éleva, en mettant à profit la science de son rival, un édifice grandiose et fort qui, pendant de longs jours, défiera encore les atteintes du temps.

Telle qu’une algue qui essaime ses sporules, l’Angleterre essaima ses colonies ; mais supérieure à l’algue qui ne peut vivre que dans