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certaines eaux, elle contraignit, à force d’intelligence et d’énergie, les rejetons détachés d’elle-même à se plier aux conditions du milieu nouveau où ils allaient vivre, tout en gardant la force originelle de leur mère. L’Angleterre s’est répandue sur toute la terre en ne demandant aux peuples qu’elle asservissait que de rendre à l’Angleterre ce qui appartenait à l’Angleterre, en appropriant son système politique au milieu où il devait se développer.

Elle a conquis l’Inde par des protectorats savans ; il y a encore des états nombreux qui gardent leurs princes souverains et n’en obéissent pas moins au résident de la reine. Elle détient toujours le Canada, où l’œuvre de domination semblait plus difficile, puisque là elle se heurtait à une population française plus nombreuse que les conquérans, et si ancrée dans ses traditions d’origine qu’elle a gardé malgré tout sa langue et son génie de race. Enfin elle a créé de toutes pièces cette magnifique colonie d’Australie, qui, déjà si forte, croît et croîtra longtemps encore en grandeur et en richesses.

Et la raison de tous ces prodiges ? C’est que l’Angleterre a su organiser son empire, c’est qu’elle a su reconnaître la première qu’il faut ramener les différentes formes de colonies à ces trois types : le premier, où on peut exercer une domination entière, grâce à l’apathie des populations, comme l’Inde ; le second, où il est nécessaire, pour régner, de laisser au vaincu une grande autonomie et une grande liberté, comme le Canada; le troisième enfin, où il est possible d’exterminer la race aborigène pour s’établir sur ses ossemens, comme l’Australie. Voilà la cause capitale de l’épanouissement de la famille anglaise sur le globe.

Aujourd’hui que la France semble vouloir reprendre au-delà des mers le système d’expansion que sa situation géographique, la configuration de ses côtes baignées par trois mers, l’énergie de ses matelots, l’énergie du vieux sang gaulois, lui commandent, il est peut-être bon de rappeler ces drames du passé. On y puisera la conviction qu’un pays qui veut s’épandre aux extrémités du monde doit avant tout s’appuyer sur un code de politique coloniale mûrement étudié, nettement défini, dont le jeu ne gênera en rien ni la défense, ni la liberté d’action de la métropole. L’histoire fournit les élémens de cette politique ; mais aujourd’hui l’histoire a la destinée de Cassandre dont on méprisait les avis quand on daignait parfois s’arrêter pour les écouter.


TIBULLE HAMONT.