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à la lettre de flammes et protégé seulement par des jets de pompe qu’on lui prodiguait, saignant d’une large blessure qu’il s’était faite à un bras, démolissait de l’autre, à coups de hache, les cloisons des cabines qui empêchaient le sauvetage. Plusieurs passagers, parmi eux quelques beaux noms de France noblement portés, rendaient de "rands services. On vit un jeune homme, au moment où le mât d’artimon menaçait de se renverser du côté de la machine, ce qui aurait déterminé la perte du bateau, monter dans les haubans, et, en coupant une corde, dégager le mât, qui, un instant après, tomba dans la mer.

Mais tous ces efforts, qu’on pourrait dire surhumains, semblaient impuissans à empêcher la catastrophe. Le grand salon, l’escalier principal, la cabine des dames, située en-deçà de la cloison étanche, offraient le spectacle d’un chaos de flammes. L’arrière-pont s’était enfoncé en entraînant le spardeck et le fumoir. Le leu s’était déclaré quelques minutes après trois heures de l’après-midi, et, à trois heures et demie, plus d’un tiers du bâtiment était incendié. A quatre heures et demie, tenant les yeux fixés sur l’arrière, je vis un éclair, suivi d’une secousse et d’une forte détonation. C’était la provision de poudre du bâtiment qui venait de faire explosion. A cinq heures, le mât d’artimon, ainsi qu’il a été dit, s’abattit à tribord. Pour ne pas compromettre l’hélice, le commandant se vit obligé de stopper la machine, qui, heureusement, n’avait pas été atteinte par l’incendie. Les chaînes de la barre s’étant tordues par la chaleur et en partie brisées, le bâtiment ne gouvernait plus. La direction dans laquelle s’enfuyait la fumée causée par l’explosion dont je viens de parler prouvait que le bâtiment, privé du secours du gouvernail, commençait à tomber en travers. Si ce mouvement se maintient, dans peu de minutes nous aurons le vent à l’arrière, l’incendie gagnera le centre et l’avant, et tout sera dit.

Cependant, le feu avait déjà réclamé ses victimes : le missionnaire Tavernier, qui, pendant la traversée, s’était par le fort roulis cassé une jambe, ne pouvant s’enfuir, devint dans sa cabine la proie des flammes. Pendant quelques minutes, on entendit ses cris déchirans. Un curé de la Guadeloupe, qui essaya de le sauver, eut des brûlures assez graves pour compromettre sa vie. J’ai eu la satisfaction de le rencontrer six semaines après, presque entièrement rétabli. Un sommelier et un garçon du bord furent brûlés dans la sommellerie. Parmi les hommes occupés aux travaux de sauvetage, les blessures étaient nombreuses, mais légères.

Pendant que ces scènes se passaient sur le champ de bataille, qui était, on le sait, l’arrière du bateau, les non-combattans : des femmes, des enfans, quelques vigoureux jeunes gens de différentes