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avait adressées au roi Victor-Emmanuel, la vivacité de ses protestations contre le mariage civil, contre l’expulsion des ermites camaldules de Montecorona, contre l’envahissement des états de l’église. Il semblait avoir donné des gages à tout le monde ; de fait, il s’était renfermé dans ses fonctions pastorales. La meilleure politique consiste quelquefois à n’en point faire.

— « Sa personne, écrivait l’auteur d’une histoire de Pérouse, Louis Bonazzi, toute maigre qu’elle est, a une grande expression de dignité; il n’a aucun de ces mouvemens d’yeux et de lèvres par lesquels se trahissent les passions et les intentions obliques. il parle rarement et d’une voix placide, commençant par une espèce de cantilène oratoire qui semblerait annoncer une longue tirade, si après quelques paroles il ne s’interrompait par une légère secousse qui le rappelle à un maintien composé et plus diplomatique... S’il eut jamais un défaut, ce fut celui d’être trop doux et trop prudent. Pendant les trente-deux années de son épiscopat, son caractère et sa mansuétude évangélique ne se démentirent jamais. » Cependant il avait des ennemis. L’un d’eux, le cardinal Rendi, s’écriait en fureur : « Voter pour Pecci! Fi donc! je ne voterai que pour un grand seigneur comme Chigi ou pour un saint homme comme Martinelli. » Les malveillans le disaient avare et hautain, l’accusaient de dire peu de messes et de n’y pas ajouter les actions de grâces. A Rome même, il n’était pas en faveur. La petite cour du Vatican redoutait ses habitudes parcimonieuses. Les fanatiques de noblesse parlaient avec dédain de sa petite naissance. Les femmes le goûtaient peu; elles lui reprochaient la sévérité de ses manières, son extrême maigreur et son emphase; elles préféraient le noble et beau visage de Pie IX, sa physionomie ouverte, sa voix sonore, son esprit vif et enjoué. Mais ce ne sont pas les femmes qui nomment les papes.

Aux qualités et aux défauts utiles, un cardinal papable doit joindre l’art de dissimuler son ambition et ses désirs. A vrai dire, en 1878, la papauté pouvait paraître un bien peu désirable. Le pape qu’on allait élire n’était pas appelé à régner en souverain absolu sur quelques millions d’hommes. Réduit à ses fonctions spirituelles et au jardin du Vatican, condamné à protester éternellement contre l’usurpateur de ses états, il allait s’ensevelir au fond d’un palais pour y jouer le rôle de pontife prisonnier, et l’air qu’on respire dans une prison ne convient guère aux ambitieux mondains. Joachim Pecci lui-même semblait regarder comme un martyre la glorieuse destinée qui l’attendait. Comme il entrait au Vatican une heure avant que Pie IX expirât, il rencontra le cardinal Consolini, qui lui dit : « Mon vote est pour votre éminence, » Il répondit: «Ne songez pas à ma pauvre personne, la papauté est une charge trop lourde pour moi. — Eminence, résignez-vous, il nous faut un Cyrénéen. » Pecci ne répliqua pas, mais de ce