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mécompte. L’usage veut que le nouveau pape, lorsqu’il ôte sa calotte de cardinal, la pose sur la tête du secrétaire du conclave, qu’il élève ainsi à la pourpre. Mgr Lasagni, dans la joie de son cœur, se croyait déjà prince de l’église. Quand le nouvel élu revêtit ses habits pontificaux, il ôta sa calotte selon l’usage, mais il la mit dans sa poche. Plus cruelle encore fut la déception du gouvernement italien, qui s’était flatté que, rompant avec les traditions de ses prédécesseurs et acceptant les décrets de la destinée, Léon XIII consentirait à sortir du Vatican ou tout au moins à se laisser couronner dans la basilique de Saint-Pierre Le couronnement se fit à huis-clos, dans la chapelle Sixtine. Léon XIII entendait rester en prison, garder les arrêts.

M. de Cesare ne parle des affaires de l’église que sur un ton de respectueuse bienveillance; il s’écrie à la fin d’un de ses chapitres : « Que Dieu protège les survivans de ce fortuné conclave, le pape qui y fut élu et moi qui l’ai raconté ! » Mais s’il est bon catholique, il a le cœur italien: en écrivant son livre, il se proposait à la fois d’amuser les curieux et de démontrer que la suppression du pouvoir temporel n’a pas compromis l’indépendance spirituelle du saint-siège, « que l’élection de Léon XIII fut la plus libre qu’il y eut jamais. » On ne peut nier qu’au mois de février 1878, le gouvernement italien n’ait pris à tâche de prouver à toutes les puissances catholiques que la loi des garanties n’était pas un vain décret, que les cardinaux enfermés dans le Vatican y pouvaient délibérer en paix, sans être dérangés ni contraints par personne. Quelques-uns d’entre eux, ne se croyant pas libres, avaient songé à s’en aller. Pour parer le coup, M. Crispi, alors ministre de l’intérieur, avait recouru aux bons offices du cardinal di Pietro, seul membre du sacré-collège qui acceptât les événemens et crût à la durée du royaume d’Italie. — « Bien des années, disait ce prélat d’esprit souple et accommodant, s’écouleront avant que les papes se résignent à la perte du pouvoir temporel; ils ne cesseront de le redemander pour s’y mettre à l’aise comme dans un vieux lit, le nouveau étant fort incommode. « Il ajoutait en riant : « C’est l’effet de l’habitude; pour nous autres ecclésiastiques, l’habitude est tout, et nous avons celle de coucher seuls.» Le 8 février, les cardinaux présens, réunis en congrégation, avaient résolu de tenir le conclave hors de Rome; les uns voulaient aller à Malte, d’autres à Munich ou en Espagne. Le jour suivant, di Pietro, qui les présidait en sa qualité de sous-doyen, les fit revenir sur leur décision. Dans le fond, ils ne demandaient qu’à se laisser convaincre; un cardinal romain ne comprend pas qu’on puisse vivre hors de Rome et, une fois parti, pourrait-on revenir?

Les lois de garantie sont bonnes ou mauvaises, selon la façon dont on les applique, et M. de Cesare convient lui-même que, si le ministère italien venait à se recruter dans les partis avancés, l’indépendance du