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de paraître, n’a pas encore atteint la lettre B. « Mais pourquoi ne veux-tu pas dire A, demandait-on à cet enfant, puisque tu le peux et que tu le sais ? — C’est que je n’aurais pas plus tôt dit A, répondait-il, que l’on voudrait me faire dire B. » L’Académie tout de même : elle n’en veut pas finir avec la lettre A, de peur qu’on ne lui demande aussitôt où elle en est de la lettre B.

Pour poser cette question intéressante, mais indiscrète, nous ne manquerions certes pas de prétextes, si nous le voulions et qu’il en fallût. Ce Dictionnaire de la langue anglaise, par exemple, dont nous parlait M. Taine il y a quelques jours, « œuvre admirable et colossale, » n’en serait-il pas au besoin un premier ? et le projet tant de fois formé, jamais exécuté, de fonder une Académie anglaise « pour la langue, » à l’imitation de la nôtre, n’en serait-il pas un second, puisqu’il paraît qu’on y reviendrait de nouveau ? Un livre récent, que j’ai là sous les yeux, l’Académie des derniers Valois, par M. Édouard Fremy, pourrait en être un troisième. C’est, en effet, un livre curieux, un livre intéressant, moins neuf peut-être que ne le croit son auteur ; et aussi m l’on voudrait voir, si l’on osait former un vœu, moins de « scissions dans la trame de nos destinées littéraires, » moins « d’erreurs qui reposent sur des lacunes ! » Mais, sans chercher tant de prétextes, il vaut encore mieux traiter la question pour elle-même : en France, et de notre temps même, l’Académie française est toujours une actualité.

Instituée a pour rendre le langage français non-seulement élégant, mais capable de traiter tous les arts et toutes les sciences, » l’Académie française, quand elle eut donné au public la première édition de son Dictionnaire de l’usage, se trouva fort embarrassée des loisirs qu’elle venait de se faire. Elle essaya bien d’une Grammaire ; Fénelon, dans sa Lettre sur les occupations de l’Académie, non moins chimérique que son Télémaque, parla bien de rédiger une Rhétorique, une Poétique, un Traité de la manière d’écrire l’histoire, je ne sais quoi encore ; Voltaire, un peu plus tard, proposa de commenter les grands écrivains du XVIe et du XVIIe siècle, ainsi qu’il avait lui-même commenté Corneille ; mais rien de tout cela n’aboutit, comme l’on sait, et l’on se borna, pour passer le temps des séances, à préparer, en causant de l’événement de la veille et de celui du jour, les éditions futures du premier Dictionnaire. Cependant, les autres Académies, l’Académie des sciences, l’Académie des Inscriptions, publiaient des Compte-Rendus, des volumes entiers de toute sorte de Mémoires. Aussi, lorsque Voltaire, en 1778, quelques jours avant de mourir, proposa le plan d’un nouveau Dictionnaire, « qui pût tenir lieu, — selon son expression, — D’une grammaire, d’une rhétorique, d’une poétique française, » l’idée, si nous en croyons Condorcet, fut-elle accueillie favorablement,