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où il voudrait approprier à notre génie le génie de nos voisins ou de notre voisin, alors notre conversion serait définitive, et nos yeux ouverts par lui ne se fermeraient plus. Ces prévisions ne se sont pas non plus réalisées. Dans les deux derniers actes de Proserpine, — nous nous en expliquerons tout à l’heure, — M. Saint-Saëns, par instinct ou par volonté, peu importe, a rigoureusement appliqué les doctrines wagnériennes, et l’expérience semble avoir tourné contre lui. La seconde partie, la partie wagnérienne de l’ouvrage, a paru très inférieure à l’autre et compromis le succès définitif. On comptait sur un drame musical; on ne l’a pas eu, c’est une déception. Mais on a eu deux tableaux en musique, l’un fort agréable, l’autre exquis, et c’est bien une consolation.

« Mon ami, disait jadis avec mépris notre vieux professeur au plus ignorant de la classe, savez-vous seulement ce que c’était que Proserpine? » Et comme l’enfant ne le savait pas, le brave homme nous contait les aventures de Proserpine. Il nous disait sa cueillette de fleurs dans les prairies de Sicile, son enlèvement par Pluton, et la sombre royauté de la jeune déesse. La Proserpine de M. Vacquerie n’est pas déesse; c’est une courtisane de la renaissance italienne, une courtisane amoureuse comme la Marion Delorme de Victor Hugo, comme la Traviata de M. Alexandre Dumas fils et de Verdi, comme la Constance du bon La Fontaine, la plus charmante de toutes, mais impossible, hélas ! à l’Opéra-Comique. Proserpine aime en secret le jeune Sabatino et feint de le haïr, par un raffinement d’amoureuse, par une coquetterie de bel animal qui recule pour mieux sauter. Souvent, et sans succès, Sabatino brigua les faveurs de la dame. Toujours rebuté et d’ailleurs las des passagères amours, il s’est épris d’Angiola, la sœur de son ami Renzo. Mais Renzo met au mariage une bizarre condition : pour garantir le renoncement définitif de Sabatino aux galantes aventures, il exige une dernière expérience. Sabatino ne sera le mari, et le bon mari alors, d’Angiola, qu’après avoir été l’amant de Proserpine, au moins après avoir encore une fois essayé de le devenir. Il l’essaie, il échoue, et va chercher avec son futur beau-frère sa fiancée, pensionnaire d’un couvent voisin. Proserpine, apprenant le mariage du bien-aimé, prend la chose au tragique. A son tour, elle fait auprès de Sabatino une suprême tentative d’amour, tentative assez rare, croyons-nous, dans l’existence des jeunes gens. Peine perdue, Sabatino la congédie pour recevoir Angiola. Alors la vindicative créature se cache derrière un rideau et, surgissant soudain entre les deux fiancés, elle poignarde l’une et tombe sous le stylet de l’autre. — Voilà une vilaine femme. Ni Marion, ni Violetta, ni surtout la bonne Constance, n’aurait agi ainsi.

Le livret d’Henri. VIII, selon nous beaucoup trop critiqué, n’a donc