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tendant à réclamer une constitution libérale? Naturellement, à ces heures-là, l’imagination brouille tout, confond tout et grossit tout, à Saint-Pétersbourg comme dans bien d’autres villes. Ce qui arrive aujourd’hui prouve tout simplement que la Russie ne cesse d’être livrée à de profonds malaises, exploités par les sectes révolutionnaires et les conspirateurs. Que le jeune empereur ait reçu et garde du dernier attentat qui a menacé sa vie une pénible impression, c’est bien possible. Est-il à croire cependant que ces tentatives criminelles aient pour effet de modifier la position que la Russie a prise dans les affaires de l’Europe, d’irriter le tsar et de le pousser à tenter quelque grande diversion extérieure? Une diversion guerrière ne remédierait sûrement à rien. La Russie restera vraisemblablement dans sa position, attendant sans impatience la fin des affaires bulgares, qui ne se régleront pas sans elle, attentive aux mouvemens européens, où elle est sûre d’exercer un sérieux et décisif ascendant.

Les affaires de la Grande-Bretagne, affaires extérieures ou intérieures, sont loin de se simplifier et de laisser en repos le ministère conservateur qui règne laborieusement depuis près d’une année. De quelque côté que se tourne l’Angleterre, elle n’a que le choix des difficultés, en Égypte, aux Indes ou en Irlande. La vieille querelle qu’elle a avec la Russie dans l’Asie centrale et qui, après avoir été momentanément assoupie, semble se raviver, pourrait certainement redevenir un assez grave embarras. Les autorités britanniques de l’Inde, depuis quelque temps, ne cachent pas leurs inquiétudes ou leurs soupçons sur ce qui se passe dans l’Afghanistan, sur les projets toujours attribués à la Russie; elles croient voir déjà les Russes en mouvement, la ville d’Hérat menacée, les insurrections près d’éclater dans l’Afghanistan. Elles s’exagèrent peut-être un danger dont elles ne cessent d’être préoccupées. La situation ne paraît pas moins assez troublée, surtout fort obscure à Caboul, et ce qui pourrait à coup sûr tout compliquer, ce serait la mort de l’émir Abdurrahman, qui est le protégé de l’Angleterre, dont la santé est, dit-on, irrémédiablement atteinte. Il est certain que, si le prince qui règne à Caboul disparaissait aujourd’hui, sa mort déchaînerait vraisemblablement toutes les compétitions et serait le signal d’agitations périlleuses, aggravées par un inévitable conflit d’influences entre la Russie et l’Angleterre. Tout peut dépendre d’un événement que sir Charles Dilke, dans des études récentes sur la politique de son pays, prévoyait comme fatal et prochain. Il y a quelques années déjà, un conflit fut un instant sur le point d’éclater pour une question de frontières qui est toujours restée indécise; la mort de l’émir pourrait le rallumer sans doute, créer tout au moins une situation difficile, un état d’anarchie dont les maîtres du Turkestan seraient lentes peut-être de profiter. Les Anglais ont la constante préoccupation de l’Afghanistan, qu’ils considèrent comme le rempart de leur empire