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pour prendre les dernières instructions de la reine sa belle-sœur ; mais il n’avait fait en quelque sorte que toucher barre, car, en descendant sur le perron même du palais de Schœnbrun : « Me voici, disait-il : vous voyez que je ne suis pas resté dans le Rhin, mais c’est pour remonter à cheval demain matin. » A la vérité, il avait eu quelque peine à se faire conserver son commandement, car son frère le grand-duc, trouvant sans doute l’occasion favorable ou n’aimant pas à se laisser trop éclipser, avait fait mine de vouloir le prendre à sa place. Mais ce fut la reine qui, à aucun prix, n’y voulut consentir. Depuis qu’à l’épreuve elle s’était prise à douter des talens militaires de l’objet de son amour, elle ne comptait plus beaucoup sur la gloire qu’il pourrait acquérir ; rien ne compensait plus pour elle le chagrin et l’inquiétude que lui causait son absence. « J’ai été malade de colère, écrivait-elle à sa sœur l’archiduchesse Marianne, et par ma méchanceté j’ai causé la fièvre au vieux (der Alte, c’est le nom qu’elle donnait à son mari), car tout d’un coup l’idée lui est venue d’aller à l’armée, mais avec une telle envie qu’il a déjà fait tout cet été, d’abord que la danse allait recommencer dans le pays, raccommoder son équipage, et après que tout a été fait, il commençait doucement à m’y préparer. Au commencement, je n’ai fait que badiner, mais, à la fin, j’ai vu que c’était tout de bon ; je suis revenue à mes instrumens ordinaires, les caresses, les pleurs ; mais qu’est-ce que ceux-ci peuvent obtenir après neuf ans de mariage ? Aussi n’ai-je rien obtenu, quoique du meilleur mari du monde. J’ai enfin repris ma colère, qui m’a si bien servie que moi et lui sommes tombés malades ; la saignée m’a remise et je suis à cette heure dans l’état d’espérer plus que de craindre… Mais s’il partait encore, je le suis ou je m’enferme dans un couvent. »

Le grand-duc s’étant laissé fléchir par ces larmes, la reine n’alla point au couvent et l’armée conserva son général. On lui adjoignit seulement un excellent conseiller dans la personne du maréchal de Traun, vieux militaire très expert et qui venait de se distinguer en Italie par d’habiles manœuvres[1].

L’un et l’autre, arrivés sur le théâtre des opérations, n’eurent pas plutôt vu la situation où Frédéric s’était laissé réduire, qu’ils comprirent le parti qu’ils en pouvaient tirer. « Si cet homme n’a pas fait pacte avec le diable, écrivait le prince Charles, il est vraiment fou. » Tout d’abord, la jonction entre les deux corps d’armée autrichiens, celui qui venait de France et celui qui était resté en Bohême, s’opéra sans difficulté, en vue et presque sous le canon de l’armée

  1. Robinson à Carteret, 16 septembre 1744. (Correspondance de Vienne. — Record Office.) — D’Arneth, t. II, p. 563.