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menace qui n’a rien de théorique et qui serait formidable si, d’individuelle qu’elle est encore, elle devenait collective ? D’une part, l’amélioration morale du système pénitentiaire et, de l’autre, la possibilité pour les libérés de vivre de leur travail à la sortie de la prison. Si le droit de la société est d’être sévère, le devoir de l’homme est d’être compatissant ; en outre, son intérêt est de neutraliser les forces subversives qui peuvent l’attaquer en rappelant le vieux proverbe : « La faim chasse le loup du bois. » C’est ce que M. de Lamarque a voulu ; il a envisagé la question en homme pratique, connaissant la matière à fond, sans excès de sensiblerie, mû par la pensée de tenter, dans une sphère d’action restreinte, mais vivace, un essai de préservation sociale. Sa conviction était profonde, et rien ne l’a ébranlée. La récidive est un danger permanent ; il tant la combattre, non avec la présomption de la détruire, mais avec la ferme volonté de la diminuer ; c’est ce qu’il a fait, et c’est dans ce dessein qu’il a créé la Société de patronage des libérés adultes.


II. — LE SAUVETAGE.

La Société, fondée à Paris le 25 novembre 1871, a été autorisée, le 9 juin 1872, par le préfet de police, et reconnue comme établissement d’utilité publique par décret du 4 novembre 1875. Elle fonctionne régulièrement. Après avoir été dirigée par M. de Lamarque, qui est mort, puis par M. Lefébure, que connaissent bien les œuvres charitables, elle a aujourd’hui pour président M. Bérenger (de la Drôme), que ses aptitudes à secourir les malheureux, ses traditions de famille, ses études pénitentiaires ont, en quelque sorte, délégué à cette mission d’élite. Le conseil d’administration, dont il est le chef, est en réalité un conseil de famille, car les libérés peuvent être assimilés à des mineurs sur lesquels il est urgent de veiller et qu’il faut pourvoir. Cette tutelle, on ne la leur impose pas, mais on en protège ceux qui viennent la réclamer. Elle ne leur est pas marchandée ; elle est complète, très prévoyante, et ne se ménage point pour parvenir au résultat entrevu. Comparer le détenu qui sort de la geôle à un mineur n’a rien d’excessif ; l’un comme l’autre est avide de sa liberté, dont il ne sait que faire ; curieux, imprudent, insouciant, il croit à sa force de résistance, qui n’existe que bien peu, et, si on ne le guide, il s’égarera, car toute occasion peut le tenter, tout feu follet l’entraîner à l’abîme. C’est là le côté moral, que modifie cependant une sorte de sensation physique faite de honte et d’inquiétude, sensation trop souvent fugitive, mais dont on peut profiter lorsque l’on parvient à la reconnaître à temps, à la minute propice. C’est de cet instant que pont dater, non pas une rénovation immédiate et absolue, mais une