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LE PATRONAGE DES LIBÉRÉS.

de découvrir à l’épaule la trace du fer dont les bourreaux stigmatisaient jadis les forçats.

J’ai été voir M. Jaillant ; j’ai causé de H… avec lui, et il a confirmé les détails qui précèdent. L’ancien réclusionnaire est très discret ; c’est à peine si de temps à autre il demande quelque peu d’argent pour acheter du tabac. M. Jaillant m’a dit : « Cet homme-là est une exception. » Soit, je n’en disconviens pas, mais cette exception, la Société de patronage s’ingénie à la faire naître, à l’entretenir, à la multiplier, et on ne saurait trop l’en louer. On ne peut imaginer les efforts qu’elle accomplit pour s’interposer entre le libéré et la récidive, la récidive mortelle qui est comme la lèpre et ne lâche plus ceux dont elle s’est emparée, à moins d’un miracle, et les miracles ne sont pas fréquens. Si le libéré a une famille où il peut trouver un asile momentané et quelque protection, la société se met en rapport avec elle, et bien souvent obtient qu’un enfant prodigue et coupable soit recueilli au foyer dont son inconduite l’avait chassé. Elle n’épargne rien pour trouver à caser, ici ou là, ceux de ses « cliens » sur lesquels elle croit pouvoir compter ; elle reste en correspondance avec ceux dont elle a accepté la tutelle ; elle fortifie leur persévérance : « Allons ! bon courage ; le vieil homme est mort, veillez assidûment sur l’homme nouveau, nous vous le confions, car nous avons foi en lui. » j’ai lu plusieurs lettres de libérés ; elles sont touchantes et écrites avec une simplicité qui donne bon espoir pour l’avenir. D’où viennent-elles ? De la frontière de Chine peut-être, ou du Sénégal, ou de l’Amérique du Sud, ou de Paris, ou d’une ville de province. On comprendra quel scrupule m’arrête ; je ne pourrais dire, sans causer préjudice à des malheureux qui s’essaient au relèvement, à quelle source on va puiser l’eau de Jouvence dont ils peuvent être régénérés. Ici, la discrétion n’est que correcte ; quand on cherche à pénétrer les misères de son temps et les œuvres des grands cœurs qui tâchent d’y porter remède, on devient presque un confesseur, et l’on n’est pas maître du secret dont on a reçu confidence. Mais ce qui nous appartient et ce que nous devons faire connaître, c’est le résultat obtenu, et nous dirons que le nombre des libérés qui s’adressent au patronage paraîtra considérable, si l’on songe qu’ils appartiennent à un monde qui pousse parfois le goût de l’indépendance jusqu’à la passion.

Ces hommes-là sont-ils animés de la volonté de fuir le vice et de n’y retomber jamais ? Oui, certes, aux premiers jours de leur liberté et au début du métier dont on les a pourvus ; mais le diable est malin, parfois il souffle de mauvais conseils à ses anciennes connaissances et alors des récidives se produisent ; on peut les évaluer à une moyenne presque régulière de 8 à 10 pour 100, ce qui est singulièrement minime en comparaison de la récidive des libérés