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les prisons municipales. Son action se dilaterait dans de larges proportions, deviendrait féconde et serait un puissant auxiliaire pour la justice, qui parfois se sent paralysée devant le nombre toujours croissant des récidives. La loi de relégation est bonne, si elle est appliquée, mais elle sera singulièrement onéreuse pour le budget, et, de toute façon, le relèvement par le travail vaut mieux que l’éloignement imposé en charge à l’état. L’augmentation des récidives produit un résultat étrange : les prisons deviennent insuffisantes à contenir tous les détenus, et c’est pourquoi le nombre des grâces croît dans des proportions anormales. Cercle vicieux par excellence : plus on condamne, plus on gracie ; question de place, pas autre chose ; on libère un prisonnier pour donner sa cellule à un autre. Ne serait-il pas plus profitable de le libérer tout à fait de la prison et de lui-même ? C’est la mission de la Société de patronage, elle n’y faillirait pas, et serait partout où l’on a besoin d’elle, si, au lieu d’être forcée d’être très prudente, elle pouvait se déployer avec l’ampleur que donne la richesse. Elle n’est pas seulement « établissement d’utilité publique, » comme dit le décret du Il novembre 1875, elle est œuvre de nécessité sociale ; à ce titre, on ne saurait trop lui venir en aide, afin de faciliter sa tâche et de lui donner tout le développement qu’elle comporte.

Lorsqu’il est question de détenus, de libérés qui veulent tenter la fortune de la vie laborieuse, il m’est impossible de ne point regarder vers les terres inoccupées, incultes, en mal de civilisation, que la France possède dans les pays lointains, dans les contrées noires où l’existence en plein air est facile, où la température rend la misère nulle, où l’Européen se relève par la supériorité même de sa race, où la liberté des grands espaces sollicite aux aventures et où nos déclassés, pour ne dire plus, trouveraient à employer, à dépenser l’activité qui en fait un péril pour notre société méthodique et réglée. Au temps de mes voyages, j’ai rencontré quelques-uns de ces hommes dont j’ai gardé bon souvenir et dont, à cette époque, j’ai peut-être envié le sort. À l’oasis d’El-Khadjé, un déserteur français jouait au seigneur et possédait de beaux dromadaires. Il s’était enfui de je ne sais plus quel pénitencier d’Algérie, où il avait été enfermé pour des fautes qui ressemblaient à des crimes. Après un voyage invraisemblable, où les péripéties n’avaient point manqué, il était arrivé à l’oasis, s’était installé, sans souci de l’archéologie, dans un temple construit par Darius Ier[1] avait épousé une négresse et se promettait de faire souche d’honnêtes

  1. Le cartouche de la dédicace du temple est : « Le Dieu bienfaisant, seigneur du monde, le chéri d’Amon Ra », seigneur de la région d’Heb-Osch, le fils du soleil Ni-Triouch (Darius) toujours vivant. »