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avec un bon visage souriant, lui demanda s’il n’apportait point de lettres de recommandation de son évêque. Boniface, troublé sans doute par la vue du seigneur apostolique et pressé de lui ouvrir son cœur, avait oublié de présenter ces lettres ; il les tendit au pontife, qui le congédia d’un signe. Bientôt il fut rappelé auprès de Grégoire. Plusieurs jours de suite, le pape causa longuement avec lui, l’interrogeant, discutant, lui faisant subir un examen de foi. À la fin, satisfait de ce qu’il avait entendu, il lui donna l’autorisation de partir « pour visiter les peuples féroces de la Germanie et leur porter la parole divine. » C’était en 719. Quatre ans après, Boniface retournait à Rome, et le pape le consacrait évêque en Germanie, après avoir reçu de lui ce serment :

« Moi, Boniface, évêque par la grâce de Dieu, à toi, bienheureux Pierre, prince des apôtres et à ton vicaire le bienheureux pape Grégoire et à ses successeurs, je promets par l’indivisible Trinité, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, et par ton corps très sacré qui est là, de garder toute la foi, toute la pureté de la sainte foi catholique, et de toujours persister, avec la grâce de Dieu, dans la pureté de cette foi, qui est la source du salut des chrétiens. Jamais je ne consentirai, sur le conseil de qui que ce soit, à rien faire contre l’unité de cette commune et universelle église, mais, comme je l’ai dit, je garderai ma foi et la pureté de ma foi ; et je servirai en toutes choses toi et les intérêts de ton église, toi, qui as reçu de Dieu pouvoir de lier et de délier, et ton vicaire dessus dit et ses successeurs. Si je connais des prêtres qui agissent contrairement aux coutumes anciennes des saints pères, je n’aurai avec eux aucune communion, aucun rapport. Si je puis les en empêcher, je les en empêcherai ; si je ne le puis, je les dénoncerai fidèlement et tout de suite au seigneur apostolique. Et si jamais, ce dont Dieu me garde, je manque de quelque façon et en quelque occasion que ce soit à toute cette promesse, que je sois accusé devant le juge éternel, et que j’encoure le châtiment d’Ananias et de Saffira, qui ont eu l’audace de vouloir te dépouiller de ce qui t’appartenait et de te mentir !

Cette copie de mon serment, moi, Boniface, pauvre évêque, je l’ai écrite de ma propre main, et je l’ai déposée sur ton corps très sacré, et j’ai prêté ce serment devant Dieu, témoin et juge ; et je jure de le tenir. »

Nous l’avons dit déjà dans une précédente étude, ce serment est celui que prêtaient les évêques suburbicaires, les subordonnés directs de l’évêque romain. Aucun prélat des vieilles églises d’Orient, de Gaule ou d’Espagne, n’aurait consenti à le signer ; mais un Anglo-Saxon, un prêtre d’une église qui était la fille de l’église de Rome, se mettait sans scrupule sous le commandement du pape et faisait entrer avec