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Le lendemain et le jour d’après, l’armée ne fit que des mouvemens indécis; le maréchal Valée paraissait attendre qu’Abd-el-Kader descendît dans la plaine. Il y descendit en effet, le 29, au milieu du jour, avec dix mille cavaliers en bel ordre. On eût dit vraiment qu’il passait en revue les troupes françaises, tant il mit d’insolence à parader en avant d’elles. On pouvait aisément le distinguer, au milieu de la longue colonne, précédé de ses étendards, suivi de ses cavaliers rouges. Tout à coup, par un mouvement absolument inattendu, on le vit s’engager entre le lac Halloula et la droite de l’armée. Une marche de flanc, dans un défilé, quelle audace ! mais pour le maréchal quelle occasion magnifique! On attendait un ordre, un coup de canon, un signal ; rien ne vînt. Au bout d’une heure, d’une longue heure, le maréchal commanda face en arrière et ce fut tout ; l’émir était déjà loin. Inquiet pour le Sahel qu’il semblait menacer, le maréchal se contentait de le suivre. Dans tous les rangs, la déception fut grande : « Ah! se disaient les vieux africains, ce n’est pas le maréchal Clauzel qui eût manqué la chance ! Comme il aurait eu bientôt fait de bousculer cette parade ! » D’autres, au souvenir de la Sikak, rappelaient le général Bugeaud. Cette journée malheureuse devait faire à l’autorité morale du maréchal Valée un tort irréparable. On ne cessa pas de respecter son caractère, on continua de rendre justice aux qualités solides de « ce bronze vivant, de ce lanceur de bombes, de cet obusier de vingt-quatre, » comme disaient entre eux les jeunes officiers, mais on lui contesta les mérites d’un manieur d’armée, d’un capitaine de champ de bataille, et la confiance des troupes s’éloigna instinctivement de lui. « On n’a pas d’idée de ce que c’est que 10,000 hommes conduits de la sorte, écrivait La Moricière ; cela dépasse de beaucoup tout ce que je pouvais imaginer. Il est impossible de prévoir ce qui pourrait arriver dans une affaire un peu sérieuse. »

Le lendemain 30 avril, pendant que l’armée rétrogradait vers la Chiffa, il y eut, au passage de l’Oued-Djer, un combat d’arrière-garde où se distingua particulièrement un bataillon de la légion étrangère. Le 2 mai, le corps expéditionnaire bivouaqua autour de Haouch-Mouzaïa; c’était là que le maréchal avait résolu de faire construire, avant de s’engager dans la montagne, une vaste redoute destinée à recevoir les blessés, les malades, un grand dépôt de munitions et de vivres. Lorsque les travaux lui parurent assez avancés, il laissa pour les achever les sapeurs du génie avec un bataillon du 48e, et se remit, le 7 mai, en mouvement, non pas dans la direction de Médéa, mais encore une fois à travers la plaine. Contraint naguère par les ordres du ministre d’envoyer un renfort à la division d’Oran, l’entêté gouverneur n’en avait pas pris son parti ;