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les forces d’Abd-el-Kader, réunies derrière des retranchemens construits à l’européenne, préparaient à l’assaillant une résistance qu’il serait d’autant plus glorieux de vaincre.


V.

La nuit était venue. Étages de gradin en gradin sur l’amphithéâtre de montagnes au fond duquel s’ouvre le col, les feux de l’ennemi donnaient à l’armée le spectacle d’une illumination splendide; ainsi s’annonçait la fête. Au bivouac, on ne dormit guère ; la veillée des armes se fit comme il convient dans l’attente d’un grand jour. Les hommes avaient ordre de n’emporter que les cartouches, le biscuit, la ration de viande cuite et le bidon plein d’eau ; une heure avant l’aube, ils mangèrent la soupe ; puis, aux premières lueurs du crépuscule, le mouvement commença. L’immense convoi restait parqué dans la redoute, gardé par la cavalerie et le bataillon du l er de ligne. Pendant deux ou trois heures, à la fraîcheur du jour naissant, la marche eut tout le charme d’une promenade matinale ; pas un coup de feu; aucun indice ne signalait encore le voisinage de l’ennemi. Au plateau du Déjeuner, on fit halte. Là se formèrent les colonnes d’attaque. Il y en eut trois : la première, forte de dix-sept cents hommes et composée du 2e léger, d’un bataillon du 24e de ligne et d’un bataillon du 41e, devait, sous le commandement du général Duvivier, s’élever à l’extrême gauche par un large mouvement tournant jusqu’au Djebel-Enfous, qui est le grand pic de Mouzaïa, et se rabattre ensuite sur le col ; la deuxième, forte de dix-huit cents hommes et composée des zouaves, des tirailleurs de Vincennes et d’un bataillon du 15e léger, sous les ordres du colonel de La Moricière, avait sa direction moins à gauche, de façon à rejoindre la première entre le grand pic et le col ; la troisième, composée du 23e de ligne et d’un bataillon du 48e, sous les ordres du général d’Houdetot, devait suivre la route carrossable ouverte, en 1836, par le maréchal Clauzel et marcher directement au col, quand les deux autres se seraient rendues maîtresses des crêtes supérieures. Le maréchal Valée, le duc d’Orléans et tout l’état-major se tenaient avec la troisième colonne. La deuxième division et le 17e léger avaient pour mission de couvrir les mouvemens de la première et de repousser toute diversion qui pourrait venir du côté de la plaine.

Pendant que le corps d’armée se préparait à prendre ses formations de combat, l’ennemi achevait de prendre les siennes ; l’air était si calme qu’on entendait distinctement les commandemens des réguliers, et comme ils avaient adopté les intonations françaises, c’était parfois à s’y méprendre. Il arriva qu’au moment où le 2e léger, qui s’en allait à la colonne de gauche, passait