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dans des gorges où le soldat étouffait de chaleur, se serait trouvée plus d’une fois en mauvaise passe. Le 28 au matin, l’ennemi était déjà plus nombreux; mais on apercevait la crête du Djebel-Dakla, et Médéa n’était pas loin. « l’ardeur du combat, a dit l’un des vieux soldats de Changarnier, la poudre que nous brûlions, celle qui restait sur nos lèvres en déchirant la cartouche, avaient enflammé nos gosiers; nos bidons étaient vides et tous les torrens à sec. Nous atteignîmes enfin les vignes qui entourent Médéa ; notre soif était si grande que les tirailleurs se précipitaient vers les puits et s’y disputaient un bidon d’eau, sans s’inquiéter des Kabyles qui nous suivaient en nous fusillant de crête en crête. »

Arrivé sous les murs de la ville que l’apparition imprévue de la colonne avait débloquée, le général dut attendre un certain temps devant la porte. Son aide-de-camp, le capitaine de Mac-Mahon, qui l’avait précédé d’un quart d’heure, n’avait pas pu obtenir qu’elle fût ouverte, quand Duvivier parut enfin, grave et solennel : « Soyez le bienvenu, dit-il, mais vous savez, mon cher général, qu’une place assiégée ne doit pas avoir de relations avec l’extérieur. » Il lui fallut bien pourtant recevoir le convoi qu’on lui amenait et permettre à Changarnier de visiter la place, dont la bonne tenue ne pouvait que faire honneur à son commandant. Il n’y avait eu qu’une seule attaque vraiment sérieuse, le 3 juillet, trois jours après le dernier ravitaillement. Ce jour-là, sous la direction d’Abd-el-Kader, Barkani, avec deux bataillons de réguliers et de nombreux contingens kakyles, avait surpris les travailleurs de la garnison occupés à la construction d’une redoute extérieure. La réserve accourue avait rétabli le combat, qui ne s’était terminé que le soir, par la retraite de l’ennemi, très maltraité. Les pertes avouées par Duvivier étaient sérieuses : 62 morts, 86 blessés; selon les informations recueillies par Changarnier, elles auraient été plus graves encore. Quoi qu’il en soit, l’attaque ne s’était pas renouvelée; Barkani et les Kabyles avaient seulement resserré le blocus. Dans le journal tenu régulièrement par Duvivier, on lisait, à la date du 13 août, cette page d’une forme un peu plus qu’originale : « La ville prend tous les jours une situation plus imposante. Si M. d’Abd-el-Kader veut faire enterrer son monde, son plus court parti est de venir nous attaquer ici. Je doute qu’il en ait le cœur ; il se contente de nous bloquer, croyant probablement que nous mourrons bientôt de faim. S’il était homme à conversation, je lui proposerais de venir faire un tour dans nos magasins de vivres et de liquides; mais il ne vient pas plus à conversation qu’il ne vient de près, de sa personne, dans les combats qu’il livre lui-même, se tenant à trois quarts de lieue en arrière des siens. » Excessif en tout, Duvivier était ici beaucoup trop injuste pour son grand adversaire.