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malheur à son père, on ne sait pourquoi; elle s’est procuré, par l’appât de sa dot, un inconnu qui prend le dommage à son compte, et que le père, contrairement à quelques vraisemblances, accepte pour gendre ; elle déclare à ce mari que toujours, après de telles noces, elle restera pour lui une étrangère. Nous voilà loin de la simplicité classique. Et cette femme ainsi mariée, cette femme que ravage la névrose héréditaire, l’auteur dramatique, plus sévère que le romancier, ne lui permet aucun délassement amoureux avant l’inceste : elle vit côte à côte avec son mari et sans le trahir, sans pécher en action contre la pureté, dix années durant; — C’est une sainte!.. M. Zola, en vérité, ne la retient-il pas un peu trop, par un trop rigoureux souci des bienséances? Après un tel noviciat, il n’est guère croyable qu’une femme, au lieu de prononcer le vœu définitif de chasteté, prenne pour premier amant son beau-fils, — Et quel beau-fils !

Rarement un auteur sacrifia davantage à la pudeur publique : tant de concessions, et de si coûteuses, comment peuvent-elles être inutiles? La cause du mal, la plus profonde, l’irrémédiable, et qui devait toujours l’être, quelle que fût l’exécution de la pièce, nous venons d’y toucher. Dans la préface du roman, l’écrivain se glorifiait d’avoir étudié « trois monstruosités sociales; » pour principaux personnages, il annonçait une femme névropathe, un spéculateur forcené, un tiers enfin qu’il désignait par cette qualité : « l’homme-femme des sociétés pourries. » À ces trois héros, joignez une vieille soubrette, qui est proprement une entremetteuse : vous avez un quadrille qui, sur la scène, est d’un aspect peu ragoûtant. Le père de l’héroïne, un parfait honnête homme, apparaît bien deux fois, en guise de cavalier seul : oh ! oui, bien seul! La compensation est mince. Le public, à cette gerbe de plantes vénéneuses qui sentent mauvais, préférerait un bouquet de fleurs artificielles et ingénieusement parfumées : à l’heure qu’il est, il se pâme de joie, au Gymnase, devant ce vieux vaudeville optimiste, le Gentilhomme pauvre. Il pourrait cependant, par curiosité, flairer ici trois ou quatre poisons à la fois, et ne se plaindre qu’ensuite. Mais considérez la réaction d’un de ces poisons sur les autres ; c’est du rôle de « l’homme-femme » que je veux parler : ce gamin vicieux est aimé par sa belle-mère. Quelle sorte d’attrait il a pour elle, on pouvait l’expliquer dans le roman : il est impossible, absolument impossible, de le montrer sur la scène. Vainement Renée répète elle-même ce que disait le romancier : à savoir que son naturel énergique est un élément mâle, et que la faiblesse de Maxime est femelle. Nous ne pouvons voir les raisons de cet amalgame, ni par conséquent les comprendre. Ce n’est plus qu’un fait, un accident physique, et justement ce qu’on craignait tout à l’heure, un trait de « dépravation des sens ; » et le pis encore, c’est que ce fait, il faut que nous l’admettions sur la foi de l’auteur.