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et Versailles. le général n’est pas ici, mais à son posté, en face des insurgés. Sa fille Faustine, avec une amie, garde la maison. Étienne, son fils, entre deux alertes, y fait une visite. Des entrées, des sorties, des propos interrompus, — Le tout nécessaire à l’exposition, — C’est la première partie de cet acte : elle peut sembler un peu longue, mais patience! la suite va récompenser notre attention. Mlle de Bressier a recueilli, réconforté, fait reconduire à Paris une pauvre femme, tombée de fatigue devant sa porte : c’était Françoise Rosny, errant depuis deux jours à la recherche de Pierre. Soudain arrive cette nouvelle : le général, ce matin même, a été tué à la tête de ses troupes. Et aussitôt après, un fédéré fugitif, traqué par des chasseurs à pied, vient demander asile : un vaincu est sacré, disait le général ; Mlle de Bressier cache le suppliant. Mais un nouveau coup la déconcerte : son frère, tout à l’heure, a été pris dans une embuscade et massacré, oui, massacré par les compagnons de cet homme. « Entrez ! crie Faustine aux chasseurs. Celui que vous cherchez est ici. » Pierre Rosny, — C’était lui, — n’attend pas qu’on le saisisse; il se présente de lui-même et dit à Faustine : «Si l’on m’avait tué ma femme et mon fils, j’aurais fait comme vous. » Les soldats l’entraînent. « Ah! gémit la jeune fille, j’ai livré mon hôte ! » Et elle conjure un officier de le sauver. Mais la fusillade, éclatant derrière le mur, répond à sa prière. Elle jette ce cri : « Ahl malheureuse !.. » et tombe évanouie. — Voilà un morceau de tragédie sans amour, exactement conforme au vœu de Fénelon et à cette définition qu’il donnait dans sa fameuse Lettre à M. Dacier : « Un tel spectacle pourrait être très curieux, très vif, très rapide, très intéressant : il ne serait point applaudi ; mais il saisirait, il ferait répandre des larmes, il ne laisserait plus respirer... » Point applaudi?.. Ah ! si fait, — après que la toile est tombée.

Le troisième acte et le quatrième « laissent respirer. » Il se peut même que ce drame privé, après ce commencement de drame historique, paraisse un peu rétréci et que l’intérêt s’y refroidisse. Il est pourtant rattaché au second, par-delà dix années, ce troisième acte, il y adhère par un lien naturel autant qu’ingénieux. Jacques Rosny, devenu un sculpteur de talent, fait le buste de Faustine de Bressier, devenue Mme de Guessaint. Il annonce qu’il veut dédier un bas-relief aux héros de la Révolution française. « Fi de la politique ! » dit la jeune femme. L’artiste répond: «Ceci n’est pas de la politique, mais de l’histoire. — A ce compte, reprend-elle, les héros de la dernière insurrection... « Jacques l’interrompt avec gravité : « Les soldats de Versailles ont fusillé mon père. — Les insurgés, réplique-t-elle, ont tué mon père et massacré mon frère. » Vont-ils découvrir sitôt l’obstacle qui les sépare? Mais non ; s’aimant déjà, ils l’évitent d’instinct : Jacques n’a point de curiosité, mais seulement de la pitié, pour le malheur de Faustine, et Faustine